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qui reçoivent et exécutent des ordres... J’ai l’esprit très frappé de la pensée que la France a contre nous des desseins hostiles et perfides, et qu’il est urgent de nous assurer quelque chose de plus qu’une amitié réciproque avec l’Angleterre. » Et il soumettait à Madison le plan d’un traité éventuel avec la Grande-Bretagne, par lequel cette puissance se serait engagée à garantir aux États-Unis l’acquisition de la Floride, dans le cas où, pour maintenir leur droit sur le territoire contesté, ils se décideraient à faire cause commune avec elle contre la France et l’Espagne : fantaisie diplomatique presque aussitôt oubliée que conçue, et qui, sous l’influence du secrétaire d’état, parut bientôt si peu républicaine au président, qu’ayant besoin d’expliquer six mois après les causes de sa rupture avec John Randolph, il mettait la pensée d’une ligue avec l’Angleterre au nombre des hérésies les moins supportables de la faction dissidente. Le cabinet avait adopté en effet une politique diamétralement contraire à celle que Jefferson lui avait proposée, et que John Randolph préconisait encore dans le congrès. Il songeait non à conquérir la Floride, mais à l’acheter, non à braver Napoléon, mais à fournir indirectement des ressources à son trésor, non à s’allier avec l’Angleterre, mais à répondre par des représailles contre son industrie à ses entreprises sur la liberté des mers (mars 1806).


V.

Depuis 1793, les droits et les devoirs des États-Unis, comme neutres, étaient le sujet de presque tous leurs démêlés avec l’Europe. L’Angleterre et la France, tout en professant sur cette grave matière des principes opposés, suivaient trop souvent des conduites à peu près semblables et également spoliatrices. L’Angleterre maintenait sa vieille jurisprudence maritime, que la France déclarait contraire au droit des gens moderne, mais qu’elle appliquait fréquemment par représailles aux puissances qui violaient à ses yeux la loi naturelle en la laissant violer par la Grande-Bretagne. A vrai dire, l’Angleterre entendait supprimer tout commerce neutre qui ne se faisait pas à son profit, et la France entendait interdire l’état de neutralité. Washington avait entrepris de résister à la première de ces prétentions sans céder à la seconde, et il n’y avait réussi qu’en adoptant une politique opposée à celle du parti républicain. Voulant la paix, il s’était préparé à la guerre; il s’était attaché à se rendre redoutable et à ne se montrer ni insolent ni hostile. Des ambitieux et des fous, qui disaient aussi vouloir la paix, soutenaient déjà de son temps que, pour amener l’Angleterre à résipiscence, il fallait placer le pavillon américain sous la sauvegarde de principes abso-