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inamovibles, fédéraux ou locaux, juges ou prêtres, comme les ennemis naturels de l’administration dont il était le chef. Formée sous ses prédécesseurs, la magistrature était généralement restée fidèle aux principes fédéralistes, et elle tenait à honneur de se distinguer des autres corps publics par ses goûts conservateurs, son humeur peu flexible et ses allures altières. Élevé dans les traditions puritaines, habitué à contrôler l’esprit public avec une austère indépendance, le clergé des églises établies de la Nouvelle-Angleterre se sentait et se montrait en général peu indulgent pour le libertinage politique et philosophique du parti républicain. Il avait contre Jefferson en particulier les plus sérieux griefs; il lui reprochait ouvertement son impiété notoire, son hostilité contre les fondations et les taxes ecclésiastiques, le succès de ses efforts pour les faire abolir dans les états du sud. Les discours prononcés par les juges en présidant les assises et les sermons des pasteurs venaient parfois troubler fort désagréablement le concert d’adulations dont le président était l’objet. Se voir placé par certains prédicateurs au-dessous des plus méchans rois d’Israël après avoir été élevé par certains panégyristes au niveau du Messie, cela était tant soit peu irritant. Jefferson trouvait fort mauvais qu’on le comparât à Jéroboam, et dans sa colère contre les attaques du clergé, il s’emportait jusqu’à s’approprier le parallèle aussi révoltant que ridicule fait en son honneur par un jeune avocat républicain « entre le chef illustre qui après avoir été en butte aux outrages préside aux destinées de l’Union et Celui qui après avoir été en butte aux outrages préside aux destinées de l’univers. » — « Comment pourrai-je trouver grâce devant les prêtres? s’écriait le président. Ils ont crucifié leur Sauveur parce qu’il prêchait que leur royaume n’est pas de ce monde : tous ceux qui veulent mettre ce précepte en pratique doivent s’attendre à tous les excès de leur rage. » Et pour les punir, il ne se contentait pas de commenter perfidement ce prétendu précepte d’organisation ecclésiastique dans ses conversations intimes et dans sa correspondance privée; il allait jusqu’à sortir de la réserve que la constitution impose au gouvernement de l’Union sur toutes les questions religieuses. En réponse à une adresse qui lui fut présentée par les baptistes du Connecticut, il proclama officiellement le vœu que leurs doctrines sur les rapports entre l’église et l’état devinssent articles de foi dans toutes les localités qui les repoussaient encore.

Le parti démocratique était décidé à traiter plus rigoureusement les magistrats fédéralistes qui usaient contre lui du vieux privilège que s’étaient toujours arrogé les juges américains de parler au jury des affaires publiques en lui adressant leurs résumés. Pour tirer vengeance de ces attaques qu’on ne pouvait légalement réprimer, il