Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point le conflit, c’est le concours, mais le concours contradictoirement débattu, et la conciliation en connaissance de cause.

J’entends les objections : « cette théorie n’est pas nouvelle, et l’on pouvait s’en épargner la redite; mais ce n’est qu’une théorie, c’est-à-dire une déduction abstraite qui ne tient pas compte des difficultés, des accidens et des inconvéniens de la pratique. On nous dit tout du gouvernement représentatif, une chose exceptée, c’est que l’expérience l’a condamné. » Une autre fois nous reprendrons ces objections en détail. Rien ne presse. Il n’est pas à craindre que nos idées soient mises demain à l’épreuve de la pratique, et nous avons le temps de discuter encore. Un seul mot cependant. Je veux bien qu’on dise tout contre la théorie, excepté qu’elle est impraticable. Le gouvernement esquissé dans ces pages n’est pas la fiction d’un rêveur, la vision d’un malade ; il n’a pas été inventé, mais copié d’après nature. Sur un modèle sans cesse attaqué, imité sans cesse, maint pays a tenté de régler son gouvernement, et de ces expériences déjà nombreuses, une seule, après trente-quatre ans de succès alors incontesté, a échoué. La monarchie parlementaire a péri en France, il est vrai, et il est vrai aussi que, parmi ceux qui l’accusent d’une faiblesse mortelle, beaucoup lui reprochaient jadis de ne pas donner assez hardiment la liberté.

Mais d’abord qu’on ne parle pas tant de sa chute, ou nous parlerons de tout ce qui est tombé. Si l’on voit là un arrêt sans appel, quel gouvernement n’est pas irrévocablement condamné? La monarchie féodale, l’ancien régime, la république violente, la république modérée, la monarchie administrative, absolue, constitutionnelle, des gouvernemens guerriers, des gouvernemens pacifiques, tout a péri, et rien de nouveau ne reste à essayer. Si l’on invoque l’expérience contre nous, nous l’invoquerons contre tous. Encore une fois, ne parlons de la chute de personne. L’absolutisme n’a de nos jours préservé que la Russie des révolutions, et s’il est une forme de gouvernement qui les appelle d’une manière spéciale, ce pourrait être celle qui, amoncelant tout sur une seule tête, centralise la monarchie en l’exaltant à sa plus haute puissance, et la faisant maîtresse de tout, responsable de tout, la compromet dans les petites choses comme dans les plus grandes, et l’accable sous le fardeau du pouvoir universel et illimité. Après tout, ce n’est pas pour avoir été en possession du système représentatif que toutes les monarchies de l’Europe continentale ont été ébranlées par la crise de 1848, et l’on peut citer des états qu’à cette époque le système représentatif a sauvés.


CHARLES DE REMUSAT.