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dre le bonheur, mais non la dignité, et ils ont vécu fiers, et ils sont morts illustres, ces peuples esclaves de leur liberté.

Une juste proportion, une heureuse harmonie entre la liberté de l’individu et celle de l’état est l’essence de la liberté même. Il n’est pas donné à tous les esprits de former ce savant mélange, de concevoir même la nécessité de ce savant équilibre. Les partisans d’un absolutisme vulgaire, toute cette vieille école de publicistes élevés dans les formules du droit byzantin, n’en ont ni le souci ni l’idée; mais il est d’autres écoles où nous ne devrions pas trouver la même indifférence, où nous la trouvons cependant. Des publicistes qui s’indigneraient qu’on crût nécessaire de leur rappeler que l’homme a des droits, des hommes dévoués, dévoués jusqu’à la passion, à ces révolutions si riches en promesses populaires, ont souvent oublié, dans la pratique comme dans la théorie, que la liberté, cantonnée dans certaines formes du pouvoir, ne réaliserait que la tyrannie. Peu leur importait la servitude de l’individu, si le pouvoir qui l’asservissait était spécieusement fondé à se dire l’émanation de la volonté populaire, ou si seulement il se posait en protecteur du plus grand nombre. Aux yeux de ces amis violens et pressés des réformes sociales, les droits des individus s’abîment dans le sein de la société, et dès que celle-ci se résume dans l’état, dès que l’état peut se donner pour la société centralisée, il est libre, mais il est tout. Quelle serait donc dans ce cas l’unique condition imposée au pouvoir? Une origine démocratique. Toutes les formes du socialisme aboutissent à cette monstrueuse idée. Terrible quand elle est exploitée par les passions démagogiques, elle peut l’être par un ambitieux égoïsme, et elle est à la fois l’arme des sectaires et le jouet des despotes.

Mais cet abus que l’on peut faire des droits de l’état nous avertit des difficultés épineuses qui viendraient se présenter dès que, sortant de ces généralités libérales, nous tenterions de déterminer les conditions positives de la liberté dans un certain pays et dans un certain temps. L’embarras ne serait pas de rechercher et de dénombrer les droits individuels. La propriété de la personne, du travail et de ses produits, la liberté d’aller, de venir et d’habiter, celle des consciences et des cultes, celle des professions, l’égalité devant la loi, l’égale admissibilité au service de l’état, certaines conditions dans la rédaction des lois répressives et dans l’administration de la justice, auraient bientôt atteint le montant des réclamations que l’esprit du XIXe siècle doit dicter à tous les peuples qu’il anime. Il ne faudrait pas un grand travail pour écrire en langage légal la table de ces indispensables franchises de l’homme libre, non qu’ainsi qu’on l’a prétendu elles soient toutes réalisées par l’égalité sortie