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principe sacré et éternellement vivace. J’aime donc que Philippe V, au congrès de Cambrai, qui s’assembla après le traité de quadruple alliance pour en confirmer les résultats, j’aime que Philippe V, quels que fussent ses motifs, ait défendu l’indépendance des petits états italiens. Si l’Europe aime véritablement l’indépendance de l’Italie, elle doit y aimer et y défendre les petits états. Ç’a été la grande faute du traité de Campo-Formio d’avoir supprimé la république de Venise. Venise était un des centres de la vie et de l’indépendance italienne. A qui en définitive a profité la suppression de Venise? à la France, qui l’a faite? Non, à l’Autriche, qui en 1814 a pris Venise sans avoir à en demander la suppression au congrès de Vienne. J’ose dire que si la conquête française n’avait pas, sous l’empire, nivelé l’Europe et détruit je ne sais combien de petits états indépendans, le congrès de Vienne n’aurait pas osé sacrifier comme il l’a fait le principe de la nationalité en Europe; il n’aurait pas osé faire les destructions dont il a hérité.

Croyez-vous donc, me dira-t-on, à la possibilité des petits états? Peuvent-ils vivre de nos jours? — Oui, ils peuvent vivre tant que durera la grande paix européenne, tant que la guerre universelle ne sera pas redevenue l’histoire quotidienne de l’Europe. Et les petits états ont à mes yeux cet avantage, que, ne pouvant vivre que par la paix, ils emploient leur influence à la maintenir. Chaque fois que la diplomatie crée un petit état, elle crée un vote pour la paix. Sont-ils moins favorables que les grands états aux progrès de la civilisation? Non certes. Ils ont moins de luxe et autant de civilisation, ce qui est excellent. Munich est aussi civilisé que Vienne, Bruxelles que Paris, La Haye que Londres, Dresde que Berlin. J’ajoute que les individus y ont plus d’importance et de relief. L’homme y est moins nivelé et moins effacé que dans les grands états, surtout quand les grands états n’ont pas de liberté, car la liberté excite l’individu et lui fait prendre le rang qu’il mérite : la liberté crée l’inégalité, et par conséquent la vie morale des états. Otez la liberté et étendez les états, vous avez les grandes monarchies de l’Asie, au lieu d’avoir les cités de la Grèce, Babylone et Suse au lieu d’Athènes et de Sparte, des sujets au lieu de citoyens, des esclaves au lieu d’hommes.

Il faut remarquer en même temps que les petits états ont plus de chances de liberté que les grands. La force centrale y est moins grande; l’individu y est quelque chose à côté de l’état. Il y a tel ministre intelligent et éloquent de tel petit état de l’Allemagne qui à Vienne n’aurait été qu’un chef de bureau. — Eh bien! le grand mal! dira le despote : qu’importe qu’on soit chef de bureau ou ministre? — Mais comprenez donc, majesté, que je veux que l’homme ait toute la dignité qu’il peut avoir, afin que le despotisme ne soit