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alliance, loin de répudier la politique de Louis XIV, ne fit que la continuer, non pas la politique ambitieuse et impérieuse de Louis XIV, non pas celle qui lui inspira la guerre de Hollande et l’adoption du testament espagnol, mais sa politique modérée et sensée, la politique du traité de Riswick, des traités de partage, enfin du traité d’Utrecht, quoiqu’on puisse dire que dans le traité d’Utrecht la nécessité a eu autant de part que la sagesse.

Le principe de l’alliance entre la France et l’Angleterre fut hautement avoué et proclamé dans les traités de triple et quadruple alliance : aussi ces traités, qui avaient toute sorte d’avantages, qui assuraient la paix, qui commençaient à restreindre la prépondérance de l’Autriche en Italie, ne furent point populaires, malgré leur sagesse et leur utilité, j’allais presque dire à cause de leur sagesse et de leur utilité. La doctrine de l’alliance entre la France et l’Angleterre avait de la peine à s’établir. Lord Stanhope disait, il est vrai, à l’abbé Dubois dans les négociations de la triple alliance : « Tous les Anglais sages sont convaincus qu’il y a tout à perdre et rien à gagner dans une guerre contre la France. Quand nous parviendrions à renouer une ligue contre ce royaume avec tous nos anciens alliés, après avoir fait quatre ou cinq campagnes avec tout le succès possible et avoir prodigué dans cette guerre l’argent que nous pourrions employer à acquitter nos dettes, qu’en reviendrait-il à l’Angleterre? Si on lui offrait une partie des conquêtes qu’on aurait faites sur la France, elle les refuserait, et la nation ne permettrait jamais qu’on les acceptât. Enfin la France et l’Angleterre, unies ensemble, n’auraient rien à craindre de toutes les autres jouissances; elles pourraient maintenir la tranquillité de l’Europe et même la gouverner[1]. » Mais en même temps lord Stanhope ne dissimulait pas à Dubois les préjugés qu’il y avait en Angleterre contre l’alliance française, et Dubois aurait pu répondre à lord Stanhope qu’en France les préjugés d’une bonne partie de la cour et de la ville n’étaient pas moins grands. Cette alliance cependant triompha et commença à rendre à l’Italie un peu d’indépendance. Je me trompe, ces idées de l’indépendance et de la nationalité de l’Italie n’étaient point alors de mise, et l’on aurait fort étonné le public et la diplomatie, si l’on avait parlé de la nationalité italienne. Cependant la chose existait à défaut du mot : on voulait restreindre la prépondérance de l’Autriche en Italie, on voulait même que ni l’Autriche ni l’Espagne ne prévalussent en Italie; cela était bien près de l’indépendance italienne. Seulement, comme le maintien de l’équilibre européen était alors l’idée dominante dans la diplomatie, et comme on savait bien que l’Italie entre les mains d’une

  1. Mémoires et Correspondance du cardinal Dubois.