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Il n’y a guère pourtant qu’une trentaine d’années qu’un savant explorateur, Schoolcraft, en a découvert la véritable source, et l’on peut dire que la monographie du Mississipi est à peine ébauchée, même en Amérique. C’est en prévision de l’importance historique future du Mississipi qu’il serait bon d’en connaître le cours au point de vue géographique. Quel est ce vaste bassin où l’Européen n’a planté sa tente qu’hier et où l’on entend déjà frémir un grand peuple? Deux années de courses et de recherches scientifiques dans les régions baignées par ce fleuve hier solitaire, aujourd’hui bordé de villes, nous encouragent à poser cette question en essayant d’y répondre, car c’est en vivant avec le Mississipi lui-même qu’on peut l’étudier, et qu’on apprend même à l’aimer comme s’il avait une existence personnelle. Le cours supérieur, puis le delta du fleuve, indiquent le double objet ainsi que le plan de cette monographie.


I.

Le Mississipi est par excellence l’artère fluviale de l’Amérique du Nord, et les contours de son bassin sont en parfaite harmonie avec les contours et le relief du continent tout entier. A l’occident les Montagnes-Rocheuses et le plateau d’Utah, à l’orient les plissemens parallèles des Alleghanys sont les rebords extérieurs de la grande dépression qui s’étend depuis la baie de Baffin jusqu’au golfe du Mexique. Le Mississipi et ses affluens occupent la plus grande partie de cette dépression centrale, et les autres cours d’eau qui prennent leur source dans le voisinage de celle du Mississipi, pour s’écouler ensuite lentement de lac en lac vers l’Océan-Glacial, pourraient être considérés comme une continuation du grand fleuve : ils en sont, à vrai dire, le complément géographique, et ils en prolongent le cours en sens inverse d’une mer à l’autre mer. Lors même qu’on voudrait restreindre strictement le Mississipi aux limites de son bassin actuel, il serait impossible de comparer les plateaux arides d’Utah et du Nouveau-Mexique, ou les solitudes à demi submergées de la Nouvelle-Bretagne, à la vaste et fertile région mississipienne, car ce n’est pas la superficie, c’est surtout les rapports des territoires avec la vie de l’humanité qu’il faut considérer pour en apprécier la véritable importance géographique. Ainsi ni le Mackenzie, ni la Colombie, ni la Rivière-Rouge du Nord ne peuvent se comparer au Mississipi, et, malgré la masse de ses eaux, le Saint-Laurent lui-même occupe un rang tout à fait secondaire; son bassin est comparativement limité, et d’ailleurs les grands lacs du Canada auxquels il sert de déversoir semblent avoir appartenu au Mississipi pendant une longue succession d’âges géologiques. En outre, le Saint-Lau-