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quettes collées sur des personnalités périssables. En se faisant dans une œuvre littéraire l’interprète d’une opinion politique, quelle qu’elle soit, M. Louis Hymans obéit trop visiblement à des sentimens que la critique ne peut pas apprécier, et qui le poussent à prendre, sans qu’on en voie suffisamment la raison, tantôt le ton amer du pamphlet, tantôt la phrase élogieuse du panégyrique. La Courte Échelle doit à ce parti-pris de ne s’adresser qu’à un petit nombre de lecteurs ; elle lui doit aussi, il est vrai, un fonds de chaleur et de passion qui tend à compenser le défaut d’intérêt général, et qui nous paraît être la qualité la plus précieuse de l’auteur. Nos objections n’en subsistent pas moins, car dans ces conditions étroites l’étude de mœurs présente encore un autre écueil. Il arrive en effet qu’en voulant se tenir dans la réalité, on se borne à la copier, et qu’on s’éloigne de la vérité littéraire en se contentant de reproduire les faits dont on a subi le contact, d’esquisser les figures qu’on a vues se mouvoir. Avec ces seules préoccupations, on croit agrandir sa tâche, mais on rétrécit réellement la portée de son œuvre. On s’imagine être historien, on reste chroniqueur. Sous prétexte de présenter des types, on néglige l’étude intime des caractères pour n’en mettre en relief que le côté extérieur et grossier, et ce ne sont même plus des portraits, souvent ce sont des caricatures qu’on ébauche.

Les études de mœurs offrent sans contredit de précieuses ressources ; elles permettent surtout de produire rapidement : il n’y en a que plus de mérite à s’y montrer écrivain soigneux et sévère. M. Hymans est loin, par malheur, de posséder encore tous les secrets de l’art ; il ne compose pas, il ne présente d’une manière vraiment satisfaisante ni ses personnages ni ses épisodes : il plaque les uns, il étale les autres. Quant au style, la précipitation, qui est recueil du genre, y a laissé plus d’une trace, et le reproche que nous adressons ici à M. Hymans n’est que trop souvent applicable aux écrivains de son pays. À ce propos, nous avons remarqué que les romanciers belges soulignaient soigneusement les expressions qui leur paraissent avoir un goût de terroir ; c’est assurément trop de zèle ou trop de naïveté. La question du style, croyons-nous, est prématurée pour des écrivains qui méconnaissent encore les conditions fondamentales du roman. M. Hymans, qui paraît sincèrement désireux de voir les lettres belges vivre et grandir, et à qui l’on doit au moins de consciencieux et persévérans efforts, tombe à ce sujet dans une erreur regrettable. Il a soin d’annoncer que ses études de mœurs se proposent un but moral ; mais comment prétend-il l’atteindre ? Par cette méthode fausse qui est à la mode depuis quelques années, et qui a fait son chemin, puisque nous la retrouvons en Belgique, mais qui n’est au fond que le réalisme déguisé. Elle consiste tout bonnement à exposer les choses dans leur crudité, en se fondant sur l’exemple devenu banal du jeune Spartiate et de l’ilote ivre. Avec ce système, nous avons au théâtre et dans le roman une foule d’empressés qui vont chercher je ne sais où de monstrueuses maladies, nous les décrivent, et veulent nous persuader que nous en sommes nous-mêmes rongés. On est étonné, on se regarde, on finit par rire : en attendant, l’exhibition est faite. Que gagne la morale à ceci ? Nous l’ignorons, mais certainement la littérature n’a que faire des prédicateurs et des moralistes de ce genre. Une franchise hardie est préférable à ces détours