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Que conclure de ce rapide coup d’œil jeté sur quelques expressions récentes de la forme romanesque ? Il serait imprudent, nous le croyons, de trop s’attacher à une absence d’originalité regrettable, à des tendances dont le correctif est déjà trouvé. Un mouvement de transformation s’opère, dont témoignent même les plus humbles productions : le roman tend de plus en plus à simplifier le drame et à se renfermer dans la logique interprétation de la vie réelle. Moins encore que toute autre production de l’esprit, le roman peut échapper aux transformations que l’art en général subit à mesure que le temps s’écoule et que les mœurs se modifient. Nous sommes fatigués de l’aventure et de la fantaisie, nous ne suivons plus dans leurs royaumes imaginaires les héros d’autrefois ; nous voulons que l’imagination ne dépasse plus les limites entre lesquelles se meut réellement l’action de l’homme ; il faut en un mot qu’elle combine, et non qu’elle invente. De là dans le roman contemporain deux tendances distinctes, dont l’une l’emporte visiblement sur l’autre. La première est encore le reflet du passé ; elle ne peut consentir à ce que le roman cesse d’être romanesque pour devenir réel ; elle continue à faire abstraction de ces mille détails qui empêchent sans doute de forger de pied en cap les personnages comme des types, mais qui ne s’opposent pas moins à ce qu’on y reconnaisse des caractères ; elle prétend enfin rester dans un monde de convention peuplé de figures idéales qui parlent un langage exceptionnel. L’autre au contraire, acceptant telle qu’elle se manifeste la personnalité humaine, se contente de l’étudier dans la sphère commune à tous. Elle n’exagère ni les vertus ni les vices, elle ne cherche point aux accidens de la passion des causes mystérieuses, mais elle essaie de les expliquer en les soumettant d’abord aux véritables ressorts qui les meuvent. L’art doit-il perdre quelque chose à cette évolution ? Nous ne le pensons pas, car il trouvera dans ce milieu nouveau de nouvelles conditions d’harmonie, et il saura regagner du côté de la vérité certains secours qu’il abandonnera du côté de l’exagération.


LA LITTERATURE EN BELGIQUE.


La France doit accueillir avec sympathie les efforts des rares écrivains qui en Belgique essaient d’être eux-mêmes, et visent à produire des œuvres originales. Quels que soient les résultats jusqu’à présent obtenus, il serait injuste de ne voir dans ces honorables tentatives qu’une simple, question de décentralisation littéraire. La Belgique mérite qu’on ne la juge pas avec le dédain réservé aux petites provinces qui s’émancipent ; elle pense, non sans quelque raison, que si Genève a donné à la France d’excellens écrivains, elle peut aussi prétendre à cet honneur. Ne peut-elle en effet se réclamer orgueilleusement de son passé, et répondre par les noms glorieux de Rubens et de Marnix de Sainte-Aldegonde à ceux qui lui refuseraient pour l’avenir le privilège d’un art propre et d’une littérature nationale ?

Les temps sont changés cependant, et les conditions ne sont plus les mêmes. À une époque où les nationalités se mêlent et se confondent de plus en plus, où les génies des diverses races, autrefois distincts, sinon contraires, s’effacent et s’unissent dans une sorte de synthèse cosmopolite, où l’esprit