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fit militaire qu’elle peut offrir : on craint pour Turin ; on redoute que l’armée autrichienne ne vienne couper à Novi les communications entre les deux agglomérations de l’armée française en voie de formation, celle qui vient par les Alpes et celle qui arrive par la mer. Point du tout : l’armée autrichienne renonce à tous les avantages de l’offensive, et ne se préoccupe que de la défensive, gardant avec vigilance la ligne du Pô, qui ne sera point attaquée, et négligeant celle du Tessin, qu’elle vient disputer trop tard et avec des forces insuffisantes, précipitamment et confusément réunies à Magenta. Du Tessin au Mincio, la retraite de l’armée autrichienne est si précipitée encore, qu’elle ressemble à une fuite. L’Autriche, qui avait attaché un si grand prix à la ligne du Pô, en évacue brusquement toutes les positions fortifiées. On pense qu’elle concentre ses troupes derrière le Mincio pour refaire leur moral en mettant entre elles et les alliés les remparts de ses forteresses : nouvelle surprise ; l’armée autrichienne sort de sa retraite pour nous attaquer. Il y a dans ces divers actes un mélange de témérité fantasque, de lenteur paresseuse et de brusque découragement qui annonce l’existence d’un grand trouble et d’une cruelle incertitude dans les conseils de l’Autriche depuis le commencement de cette crise.

Ces oscillations contradictoires rendent plus difficile à pénétrer la portée réelle des résolutions militaires des Autrichiens. Quel que soit au surplus le mobile qui les ait poussés à Solferino, que l’empereur François-Joseph ait repris une si vigoureuse offensive ou par amour-propre militaire, ou pour prévenir la jonction attendue du corps du prince Napoléon avec l’armée alliée, ou dans l’espoir de nous surprendre au milieu d’une marche trop confiante, le résultat de la défaite aggravera d’une façon désastreuse les chances, déjà si défavorables pour lui, de la campagne. Après avoir été expulsé de la Lombardie, il en est repoussé avec éclat à la première tentative qu’il fait pour y rentrer. Cette tentative est gigantesque. L’armée autrichienne marche sur un front de cinq lieues ; les masses qui vont se heurter sont aussi considérables que celles qui se rencontraient sur les champs de bataille où, dans la seconde moitié du premier empire, se jouaient les destinées de l’Europe. On dirait une de ces parties désespérées après lesquelles, si la fortune des armes vous est contraire, il ne reste plus qu’à céder et à se résigner à son arrêt. La position de l’armée autrichienne s’aggrave en effet non-seulement par l’énorme échec qu’elle vient de subir, mais par la force et le concert des attaques nouvelles qui vont être dirigées contre elle. Nous passons le Mincio sans obstacle ; l’armée alliée va se grossir du corps commandé par le prince Napoléon et de la division toscane ; notre escadre va dans l’Adriatique forcer la position de Venise, nous ouvrir une nouvelle base d’opération, et par le débarquement d’un nouveau corps de troupes nous permettre de prendre à revers le fameux quadrilatère. Quel qu’ait été le dessein de l’empereur d’Autriche en nous attaquant sur cette chaîne de mamelons qui est comme une fortification avancée de la ligne du Mincio, et quelle que soit la situation morale et matérielle de son armée après la défaite, il est évident que la bataille de Solferino, si elle ne détermine pas sur-le-champ le dénoûment militaire de la campagne présente, l’aura du moins singulièrement accéléré, et ne le devancera que d’un temps assez court.