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autre conséquence également obligée, c’est que cette défiance qu’éprouvent les princes allemands les pousse à faire cause commune avec l’Autriche.

« Qu’a fait l’Autriche pour atténuer cette situation de la Prusse ? La Prusse n’avait qu’un moyen de s’arrondir, de devenir un tout, sans empiéter sur ses voisins, et ce moyen, pour le dire sans détour, c’était l’union projetée en 1849 ; l’Autriche a fait échouer ce projet. Victorieuse aux conférences d’Olmütz, l’Autriche a contraint la Prusse à donner un démenti à tout son passé, à rétablir la réaction dans la Hesse-Cassel et l’autorité danoise dans le Slesvig-Holstein. Cette politique, l’Autriche l’a poursuivie avec une ténacité inexorable ; dans les dernières années particulièrement, elle a travaillé de plus en plus à s’emparer de l’hégémonie en Allemagne et à faire descendre la Prusse au rang de puissance secondaire.

« Et l’Autriche espère après cela que pour l’amour des traités de Vienne la Prusse va prodiguer son sang et son or afin d’assurer sa domination en Italie ! Oser demander que la Prusse, sans exercer aucune action sur la politique extérieure de l’Autriche, vienne seulement, comme un valet, comme un porte-queue (Schlepptraieger), partager les périls de l’empire des Habsbourg, une telle pensée est aussi absurde que cette phrase tant de fois répétée aujourd’hui : défendre l’Allemagne sur les rires du Pô. »

Voilà ce que répétait sans cesse le hardi publiciste, et à voir la force et la gravité de son langage, on devinait bien qu’il était l’organe de tout un parti. Comment dire la surprise que j’éprouvai lorsque, dans une récente livraison du Messager de la Frontière, je le vis subitement changer de langage et commencer son bulletin par ces mots : « Une crise sérieuse et décisive a éclaté dans la politique de la Prusse. Après les déclarations du ministère et des différens partis, une guerre de la Prusse contre la France nous paraît inévitable, guerre prochaine, guerre à mort. Nous avons lutté de toute notre énergie pour empêcher ce résultat ; aujourd’hui nous renonçons à notre opposition. Regarder encore en arrière, soit à droite, soit à gauche, après tout ce qui s’est passé, ce serait de la part de la Prusse le plus funeste aveuglement. Son seul devoir désormais, et il faut qu’elle y emploie toutes ses forces, c’est de donner à cette guerre, qu’elle ne peut plus éviter, une issue favorable aux intérêts prussiens[1]. »

Quel est le sens de ces paroles ? et que s’est-il donc passé ? En deux mots, le voici : l’agitation des états secondaires, que les écrivains de l’Allemagne du nord avaient essayé de contenir, avait pris des proportions effrayantes ; le patriotisme teutonique triomphait du patriotisme libéral. C’est alors que le patriotisme libéral a renoncé tout à coup à ses principes. Le publiciste du Messager de la Frontière (et encore une fois, si nous le citons seul parmi tant d’autres, c’est qu’il a exprimé plus nettement que personne les

  1. Den Krieg, den es nicht mehr vermeiden kann, zu einem günstigen Ausgang zu führen.