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une politique intéressée, ambitieuse, perfide, le dessein manifeste d’affaiblir l’Allemagne et de se jeter sur la Prusse après avoir frappé l’Autriche. Il semble, à l’entendre, que cette guerre soit pour nous sans motifs, si elle ne cache pas une intention bien arrêtée de conquérir les provinces du Rhin. Sur ce point encore, c’est à notre adversaire qu’il faut demander la réfutation de ses paroles ; qui a mieux exposé les causes d’où est sortie pour nous, pour le Piémont, pour l’Italie tout entière, la nécessité d’une lutte décisive? Écoutez cette page lumineuse ; je l’emprunte à un passage de cette polémique où l’auteur, ne s’occupant plus de nous, compare la situation si différente de la Prusse et de l’Autriche, et développe les raisons pour lesquelles l’Allemagne doit désirer la révision des traités de 1815. Il ne plaide plus contre la France, il traite un point d’histoire contemporaine, et la vérité, qu’il repoussait tout à l’heure, s’échappe enfin de ses lèvres.

« L’Autriche doit au congrès de Vienne une position très brillante, mais périlleuse. Non-seulement son territoire s’est arrondi, mais ce territoire, tel qu’il a été constitué par les traités, lui fournit l’occasion d’étendre et de développer son influence dans tous les sens, en Italie, en Orient, en Allemagne. « Toujours disposée à soutenir les princes italiens contre les révoltes de leurs sujets, l’Autriche, par ce patronage, possède en réalité l’hégémonie dans la péninsule. Voilà le bénéfice, voici maintenant le péril; cette position brillante en Italie lui attire l’hostilité de la France, et l’engage, beaucoup plus qu’il ne serait désirable pour son intérêt, dans les réseaux de l’ultramontanisme.

« Sa position, du côté du midi et de l’orient, lui donne aussi le patronage de la Turquie, et lui promet, si une occasion favorable se présente, la proie la plus riche, la Bosnie, la Servie, la Moldavie, la Valachie. Est-il un autre état européen qui possède dans son voisinage l’espérance d’un pareil accroissement? Mais en revanche cette position si belle lui suscite un rival redoutable, et ce rival peut se promettre, dans le cas d’un grand conflit, de détacher de la monarchie autrichienne maintes parties importantes. La Galicie, la Bohême, l’Illyrie, la Hongrie elle-même, toutes ces provinces, qui n’appartiennent pas organiquement à l’Autriche, ont bien des liens secrets qui les rattachent à la Russie.

« La France et la Russie sont donc les ennemis naturels de l’Autriche, et si un traité d’alliance n’existe pas encore entre ces deux puissances, c’est que l’Autriche s’est toujours empressée d’abandonner sa résistance aux projets ambitieux de la Russie chaque fois que cette résistance pouvait amener une lutte. N’est-ce pas ce qui s’est passé en 1829? Aujourd’hui la situation a changé.

« Tournons-nous du troisième côté : l’influence de l’Autriche en Allemagne a singulièrement grandi depuis dix années. Depuis le traité d’Olmütz, l’Autriche possède en réalité l’hégémonie des princes allemands, la Prusse seule exceptée, comme elle possède l’hégémonie des princes italiens. »