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jamais. L’éducation politique ne se fait point par le despotisme; un peuple qui a longtemps subi le système administratif ne fait que s’y enfoncer de plus en plus. Je ne me fais pas d’illusion sur les inconvéniens qu’entraînerait d’abord un régime qui, pour être bienfaisant, a besoin qu’on en sache longtemps attendre les conséquences; mais je crois pouvoir dire sans paradoxe que le mal qui vient de la liberté vaut mieux en un sens que le bien qui vient du régime administratif. Le bien n’est le bien que quand il vient de la conscience des individus; le bien imposé du dehors aboutit à la longue au mal suprême, qui est pour une nation la léthargie, le matérialisme vulgaire, l’absence d’opinion, la nullité officielle, sous l’empire de laquelle on ne hait rien ni n’aime rien. L’institution d’un pouvoir investi du droit de mettre tout le monde d’accord, d’écarter, comme l’on dit, les causes de division entre les citoyens, semble au premier coup d’œil un précieux bienfait. Elle n’a qu’un défaut, c’est qu’au bout de cinquante ans elle aura cent fois plus exténué la nation que ne l’aurait fait une série de guerres civiles et religieuses. Ces guerres, quelque déplorables qu’elles fussent, rendaient d’ordinaire le peuple plus sérieux et plus énergique. L’administration au contraire détruit le ressort des âmes en les assujettissant à une tutelle continue. Le clergé seul a pu jusqu’ici conserver en présence de cette force envahissante quelques privilèges, à peu près comme l’on vit, aux derniers jours de l’empire d’Occident, les évêques rester debout au milieu d’une société tuée par l’administration; mais quoique le clergé soit un bon auxiliaire dans la lutte contre le despotisme, puisque tout despotisme est amené forcément à se brouiller avec le pouvoir spirituel, il faut avouer qu’en général ce corps ne se soucie guère que de sa propre indépendance. Le catholicisme d’ailleurs, en accoutumant l’homme à se démettre sur autrui d’une foule de soins, tels que l’éducation des enfans, la charité publique, la direction de sa propre conscience, offre en général de graves dangers pour la liberté.

On arrive ainsi de toutes parts à regarder la liberté comme la solution par excellence et comme le remède à presque tous les maux de notre temps. Bien des personnes se sont habituées, sur la foi de quelques sectaires, à croire que la liberté ne convient qu’aux époques où, personne n’étant sûr de posséder la vérité, aucune opinion n’a le droit de repousser les autres d’une manière absolue. C’est là une grave erreur. La liberté est en tout temps la base d’une société durable. D’une part en effet, la vérité ne se démontre qu’à des auditeurs libres; d’une autre, la possibilité de mal faire est la condition essentielle du bien. Le monde moderne ne peut échapper au sort des civilisations antiques qu’en laissant à chacun le droit entier