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ne l’avait fait roi, et il ne devait de reconnaissance à personne; il héritait directement du titre de la restauration, et devait en continuer les traditions. « Amenés par la violence, dit M. Guizot, à rompre violemment avec la branche aînée de notre maison royale, nous en appelions à la branche cadette pour maintenir la monarchie en défendant nos libertés. Nous ne choisissions point un roi; nous traitions avec un prince que nous trouvions à côté du trône, et qui pouvait seul, en y montant, garantir notre droit public et nous garantir des révolutions. L’appel au suffrage populaire eût donné à la monarchie réformée précisément le caractère que nous avions à cœur d’en écarter; il eût mis l’élection à la place de la nécessité et du contrat... J’étais toujours tenté de sourire quand j’entendais dire du roi Louis-Philippe : le roi de notre choix, comme si, en 1830, nous avions eu à choisir, et si M. Le duc d’Orléans n’avait pas été l’homme unique et nécessaire... Je montrai dans M. Le duc d’Orléans ce qu’il était en effet, un prince du sang royal heureusement trouvé près du trône brisé, et que la nécessité avait fait roi. »

Certes M. Guizot a parfaitement raison de repousser l’élection et l’appel au suffrage populaire comme moyen de fonder la royauté; ce qui sort du suffrage populaire s’appelle d’un tout autre nom. Le chef élu ou représentant la souveraineté du peuple sera toujours trop fort pour accepter le rôle modeste de la royauté tempérée. M. de Lafayette, en prenant sa noble accolade pour une investiture, se trompait aussi gravement que le sénat de 1814, imbu des idées de l’école impériale, en déclarant Louis XVIIIe rappelé par le vœu de la nation. Une seule chose désigne le roi, c’est la naissance : le mérite et le vœu du peuple sont pour cela de faibles fondemens. Une seule chose l’investit de sa prérogative, c’est son avènement, impliquant la reconnaissance des droits constitutionnels de la nation. Mais qui ne voit que, pour rester conséquent à une telle manière de concevoir la royauté, il n’était pas permis de transiger avec l’hérédité? Le parti légitimiste, auquel M. Guizot me semble en général attribuer trop peu d’importance historique, resta comme une protestation fatale qui pesa à son jour d’un poids décisif. L’appel au peuple changea de mains, et devint l’arme de ceux qui ne jugèrent pas que leur volonté eût été exactement interprétée.

Pour justifier l’acte hardi par lequel les droits de la branche aînée de la maison de Bourbon furent transférés à la branche cadette, M. Guizot invoque la nécessité. Cette nécessité était réelle, et elle suffit amplement pour absoudre ceux qui se dévouèrent pour la conjurer; mais un tel principe impliquait de graves conséquences. La racine de toutes les perturbations dynastiques est la nécessité.