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sait arracher comme des concessions les actes que l’opinion dont il avait reçu l’investiture réclamait comme des droits, et il n’en recueillait pas le bénéfice, car on sentait trop bien qu’il se trouvait humilié comme roi légitime des déférences auxquelles il se prêtait comme roi élu.

Je sais que l’esprit français fut le premier coupable dans cette tentative imprudente, qui, sous prétexte de rendre la royauté populaire, lui enlevait son caractère vraiment libéral. Un des défauts de la France, c’est de vouloir que ses souverains soient en rapports intimes avec elle. Elle aime à toucher ceux qui la gouvernent; elle veut sentir en eux une personne, et n’est pas blessée de ce genre de familiarité du supérieur envers l’inférieur qui ressemble si fort à de l’impertinence. Le roi conçu comme une sorte de personne neutre à qui l’on impose d’abdiquer sa personnalité pour le bien de tous est la chose du monde qui est chez nous le moins comprise. On voit sans peine combien une telle disposition d’esprit est peu favorable au régime constitutionnel. Je ne connais pas un seul roi d’Angleterre qui, d’après cette manière de juger, eût été populaire en France. La royauté constitutionnelle, en effet, n’est pas une position avantageuse pour développer de grands talens et acquérir un renom brillant. Un des avantages de cette royauté, c’est précisément qu’elle est peu enviable. Le souverain y est le personnage sacrifié; il n’agit pas, n’écrit pas, n’a pas de cursus honorum régulier, pas de carrière. Les qualités qu’il doit développer sont de celles que les sages prisent par-dessus tout, mais que la foule ne peut apprécier. Un grand ambitieux, dans un tel état de choses, désirera bien plutôt d’être ministre que d’être roi. Le roi républicain, sorte de chef du peuple armé, que rêva M. de Lafayette, n’a rien de commun avec cette noble et pacifique image du roi antique, qui, si elle eût osé se montrer sur les barricades, eût semblé, j’imagine, une apparition des temps féodaux.

De tous ceux qui essayèrent de donner la théorie d’une situation dont le malheur était précisément d’être en dehors des théories, M. Guizot fut sans contredit celui qui déploya le plus d’ingénieuse perspicacité. Son système devint peu à peu celui du roi lui-même. « Le roi démêla sur-le-champ, dit M. Guizot, que ma façon de comprendre et de présenter la révolution qui venait de le mettre sur le trône était la plus monarchique et la plus propre à fonder un gouvernement. Il ne l’adopta point ouvertement ni pleinement : il avait, pour agir ainsi, trop de gens aménager; mais il me témoignait son estime, et me donnait clairement à entendre que nous nous entendions. » D’après cette théorie, le roi Louis-Philippe eut tort d’aller à l’Hôtel-de-Ville chercher une consécration populaire : personne