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ser sa victoire jusqu’au point où il le jugeait nécessaire pour sa sûreté.

Mais après l’abdication de Charles X et la claire désignation d’un successeur contre lequel il n’existait aucun motif avoué de répulsion, la continuation du divorce avec la branche aînée était-elle légitime et opportune? Je ne le pense pas. Une longue régence commençant par le triomphe des idées libérales offrait, pour fonder le régime parlementaire, une de ces occasions comme il s’en présente bien peu dans la destinée des nations. Les Anglais, en reléguant dans l’île de Wight leur roi parjure Jean sans Terre, eurent bien soin de prendre pour son successeur son fils mineur Henri III. A part un petit nombre de sages, dont la conscience me semble devoir être merveilleusement tranquille[1], tous cédèrent à une erreur fort commune en France, je veux dire à une préoccupation exagérée des qualités personnelles du chef de l’état. Égarée par une décevante analogie, qui fait répéter à beaucoup de personnes que la France n’a été grande que sous les grands souverains, l’opinion publique parmi nous se laisse volontiers aller à croire qu’autant vaut le roi, autant vaut la nation. Les minorités, les régences, momens si excellens pour le développement du régime constitutionnel, sont regardés en France comme des momens désastreux. Nous voulons un roi qui nous gouverne. De ce que telle famille nous paraît plus digne de régner, nous concluons que c’est elle qui est légitime, comme si le pouvoir était une récompense ou le prix d’un concours. Nous ne songeons pas qu’une race mûrie par le temps, nourrie dans la pensée de ses honneurs traditionnels, préservée par le sentiment de sa majesté de ces inquiétudes auxquelles les dynasties nouvelles peuvent difficilement se soustraire, vaut mieux pour séquestrer le pouvoir qu’une race jeune, active, douée de vues personnelles. Nous oublions que la royauté est un dépôt qui doit être transmis, comme toute chose héréditaire, par le fait de la naissance, que c’est là une simple question d’état civil, et que faire intervenir, quand il s’agit de la succession au trône, les questions de popularité et de capacité, c’est faire un acte illibéral, puisque c’est attribuer à la personne du roi une importance qu’elle ne doit avoir que dans les monarchies absolues.

A Dieu ne plaise que je me fasse le complice d’un parti qui a eu le triste privilège de rendre la légalité odieuse, et auquel on ne peut donner la main qu’après avoir déclaré qu’on le prend pour autre chose

  1. Le procès-verbal de la séance du 30 juillet ne mentionne qu’une seule protestation en ce sens. « M. Villemain déclare qu’en descendant dans sa conscience il n’y trouve pas la conviction que le droit de changer de dynastie lui ait été confié par ses commettans. »