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Louis XVIII ni ceux qui l’entouraient ne comprirent bien la nature de ce grand pacte; « la charte se présenta comme une pure concession royale, au lieu de se proclamer ce qu’elle était réellement, un traité de paix après une longue guerre, une série d’articles nouveaux ajoutés d’un commun accord au pacte d’ancienne union entre la nation et le roi. »

C’est surtout dans la classe qui entourait la royauté que l’erreur était profonde, et que toute notion vraie des conditions de la royauté tempérée fut méconnue. Il est de l’essence des états modernes, sortis de la féodalité, de posséder une aristocratie, reste des familles autrefois souveraines, dont le rôle consiste à limiter la royauté et à empêcher le développement exagéré de l’idée de l’état. La noblesse française, il faut le dire, a toujours manqué à cette vocation. Brillante et légère, on la voit, depuis le XIVe siècle, mettre toute sa gloire à paraître avec éclat à la cour; servir le roi fut toujours pour elle le devoir suprême : erreur énorme qui a faussé notre histoire et a été le principe de nos malheurs! S’il ne s’agit que de servir, il n’est pas besoin de nobles pour cela. Louis XI employait des valets, les despotes d’Orient y emploient des esclaves; voilà qui est conséquent. L’aristocratie est une condition de liberté, parce qu’elle donne aux rois des serviteurs d’office, et que, l’indépendance du caractère, la plus solide de toutes, étant rare, il est bon qu’il y ait des indépendances de position, afin que tous ceux qui arrivent aux places élevées ne soient pas obligés de suivre ces voies pénibles où chacun laisse une partie de sa fierté, quand il n’y laisse pas une partie de son honneur. Mais si les serviteurs nés du roi sont eux-mêmes les instrumens les plus dévoués du pouvoir absolu, on conçoit qu’à l’avilissement inséparable du despotisme se joindra dans toute sa force l’odieux du privilège. L’Orient est gouverné par des domestiques, mais du moins ces domestiques ne forment pas une caste à part. L’importance exagérée de la cour dans l’ancienne France amena ce renversement, Versailles, — M. de Carné l’a ici même parfaitement montré[1], — fut pour la noblesse le tombeau de toute vertu et de toute fierté. Ainsi l’on peut dire sans injustice que la noblesse a été le vrai coupable de notre histoire : elle n’a point fondé la liberté; par son manque d’aptitude pour les affaires et son impertinence envers le tiers-état, elle a rendu impossibles ou inféconds les états-généraux, d’où, selon les vraies analogies de l’histoire moderne, aurait dû sortir le régime constitutionnel de notre pays. Elle laissa le rôle de l’opposition aux parlemens, dont la nature n’était nullement politique, et dont l’intervention dans les

  1. Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1856.