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cette monarchie de Louis XIV, sorte d’idéal sassanide ou mongol, qui doit être considérée comme un fait contre nature dans l’Europe chrétienne. Le moyen âge l’eût excommunié, ce despote de l’Orient, ce roi antichrétien, qui se proclamait seul propriétaire de son royaume, disposait des âmes comme des corps, et anéantissait tous les droits devant l’orgueil sans bornes que lui inspirait le sentiment de son identification avec l’état.

Mais une fois la notion de l’état déchaînée, on ne compte plus avec elle. L’aberration de Louis XIV entraîne comme conséquence immédiate la révolution française. La pure conception de l’antiquité reprend le dessus. L’état redevient souverain absolu. On se laisse aller à croire qu’une nation doit être heureuse, pourvu qu’elle ait un bon code. On veut avant tout fonder un état juste, et l’on ne s’aperçoit pas que l’on brise la liberté, que l’on fait une révolution sociale et non une révolution politique, que l’on pose la base d’un despotisme semblable à celui des césars de l’ancienne Rome. Le monde moderne revenait aux erremens antiques, et la liberté était perdue pour toujours, si le mouvement qui entraînait la France vers la conception despotique de l’état fût devenu universel. Mais la révolution française ne fut pas un fait général : elle créa à la France une situation fatalement hostile à l’égard des autres puissances de l’Europe. Les pays où dominait l’élément germanique, et auxquels le régime administratif et militaire de la France était insupportable, opérèrent une vigoureuse réaction. En revendiquant leur indépendance, ils ramenèrent la France à la pure notion de la royauté, dont elle s’était écartée depuis des siècles, et qui, si elle était conforme à ses vrais besoins, n’était que médiocrement en accord avec quelques-uns de ses instincts les plus secrets.

Voilà les origines de la restauration, et dans ces origines on aperçoit sans peine le principe de ses défauts et de ses avantages. Elle fut un retour au seul régime qui convienne aux états modernes, mais un retour inintelligent et antipathique à la France, toujours dominée par ses idées de souveraineté du peuple et par ses goûts militaires. Elle fut un gouvernement civil et à beaucoup d’égards libéral; mais elle ne vit pas que, quand l’âge des entreprises héroïques est passé pour un grand pays, il n’y a qu’un moyen de le consoler du veuvage de la gloire, c’est la noble activité du dedans, les luttes de la tribune, les controverses religieuses, les sectes littéraires, l’éveil universel des esprits. Elle ne pouvait vivre sans la charte, car, ainsi que le dit fort bien M. Guizot, « pour la maison de Bourbon et ses partisans, le pouvoir absolu est impossible; avec eux, la France a besoin d’être libre; elle n’accepte leur gouvernement qu’en y portant elle-même l’œil et la main. » Malheureusement ni