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liers de présomptueux ont cru tenir sans que jamais leur prétention se soit trouvée justifiée.

Les deux volumes de Mémoires publiés par M. Guizot vont de 1814 à la fin de 1832. Il est de notre devoir de nous borner strictement aux années jusqu’ici parcourues par l’illustre historien, et d’attendre les explications qu’il fournira sur l’époque où son rôle devient tout à fait principal. Je n’ai pas d’opinion précise sur les débats compliqués qui ont rempli les dix dernières années du régime parlementaire en France; d’autres bien mieux que moi sauraient juger entre les rivaux de ces nobles luttes et apprécier la justice ou l’injustice de tant d’accusations contradictoires. Je ne le cache pas d’ailleurs, tout en reconnaissant l’utilité des guerres intérieures du gouvernement parlementaire, j’ai peu de goût pour le détail de ces combats. En fait de stratégie, le résultat seul me touche. L’histoire politique n’est pas l’histoire des partis, non plus que l’histoire de l’esprit humain n’est l’histoire des coteries littéraires. Au-dessus des partis, il y a ces grands mouvemens dont l’histoire de tous les temps est remplie, mais qui depuis soixante-dix ans ont pris un nom et une forme particulière, le nom et la forme de révolutions. Là est l’objet principal qui doit, dans l’histoire contemporaine, fixer l’attention du philosophe et de l’observateur.

Des deux grandes révolutions que M. Guizot embrasse dans son récit, la première est, de tous les événemens de notre histoire, le plus propre à faire réfléchir sur la nature des sociétés modernes et sur leurs lois constitutives. Négation absolue de la révolution française, la restauration en applique cependant les meilleures maximes; illibérale en apparence, elle inaugure parmi nous la liberté; œuvre de l’étranger, elle ouvre une période d’éveil politique et d’esprit public; représentée souvent par des hommes d’une médiocre portée d’esprit, elle fonde le vrai développement intellectuel de la France au XIXe siècle, et reste une époque chère à tous ceux qui pensent d’une manière élevée. Il faut, pour comprendre un aussi étrange phénomène, se bien rendre compte des nécessités historiques qui présidèrent au retour de la maison de Bourbon, et s’élever à une vue générale des raisons qui établissent une si profonde différence entre la civilisation moderne et les développemens brillans, mais toujours éphémères, de l’antiquité.

Cette différence consiste, selon moi, dans un point fondamental, dont les conséquences s’étendent à l’ordre social tout entier, je veux dire dans une manière tout opposée de concevoir le gouvernement. L’état ancien, qu’il revêtît la forme de monarchie comme en Orient, ou celle de république comme en Grèce, ou celle de principat mili-