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ques, mieux disciplinés, ont pénétré plus avant dans les masses populaires, mais aussi de ce que leur prédication, consacrée, s’il le faut, par le martyre, est à la fois plus tendre et plus humaine, s’attache moins absolument à la logique des démonstrations, et parle mieux le langage qui entraîne les âmes. La Chine a déjà vu bien des ruines ; mais si les décrets de la Providence n’interviennent pas, de longs siècles s’écouleront encore avant que la croix surmonte les innombrables pagodes de Si-hou.

Cette station au milieu des bonzes avait reposé les voyageurs ; ils reprirent leur route vers Ning-po, où ils arrivèrent sans difficulté, après avoir traversé plusieurs grandes villes et parcouru de riches districts. M. Cooke passe rapidement sur cette partie de son excursion. À quoi bon en effet décrire toujours le même spectacle ? La Chine, cette chose si nouvelle au premier abord et dans son ensemble, est d’un bout à l’autre, du nord au sud, de l’est à l’ouest, très uniforme, et l’on est surpris de voir des différences de dialectes entre des provinces dont les mœurs et les habitudes sont semblables de tous points. Passons donc, avec M. Cooke, à la conclusion pratique de cette tournée, si heureusement accomplie, entre Shang-haï et Ning-po, par une route interdite aux étrangers. Trois Anglais ont pu, à la veille d’une guerre et même après le début des hostilités, franchir en toute sûreté un espace de 400 milles dans un pays très peuplé. Ils n’ont rencontré nulle part ni opposition ni mauvais vouloir ; les mandarins les ont respectés, les bonzes les ont accueillis, la foule n’a manifesté envers eux qu’une sorte de curiosité naïve, empreinte de sympathie. Le correspondant du Times n’a-t-il pas raison d’écrire à son journal que ces Chinois ne sont pas si féroces qu’on l’a prétendu, qu’ils accepteront volontiers la présence des étrangers au milieu d’eux, et que l’on peut fonder de sérieuses espérances sur l’avenir des relations commerciales entre l’Europe et le Céleste-Empire ? M. Cooke doit donc se féliciter du résultat de ce voyage, dont le récit figure parmi les épisodes les plus intéressans de sa correspondance. Qu’il oublie même le moment de mauvaise humeur que lui a causé cet excellent douanier de Hang-chou, qui n’a pas voulu saisir sa contrebande : les douanes intérieures, M. Cooke l’a reconnu plus tard, ne prélèvent pas sur les marchandises européennes les droits élevés qui éveillaient à un tel point sa sollicitude. En respectant sa pièce de calicot, les douaniers chinois n’ont probablement fait que leur devoir, ce qui rend la petite scène beaucoup moins comique.

Pendant que M. Cooke visite ainsi en touriste les ports de la Chine, et qu’il mène de front les études de mœurs et les investigations commerciales, lord Elgin est revenu de l’Inde, l’escadre anglaise se trouve au complet, la France se déclare contre le manda-