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nier ne veut rien entendre. « Et le droit de passage que nous n’avons pas payé ! » À ce moment, des bras vigoureux poussent le bateau et l’Anglais au large, avec son calicot, ses couteaux, son sel et sa contrebande ; la victoire demeurait aux douaniers.

En dépit de son déguisement et de sa tête rase, M. Cooke avait été reconnu. Dès le premier village où il avait posé le pied, les Chinois s’étaient doutés de l’origine étrangère des trois voyageurs, et la police était assurément avertie. M. Cooke avait beau dissimuler ses yeux bleus sous ses grandes lunettes, se retrancher au fond de sa cabine ou se rejeter en arrière dans l’ombre d’un palanquin, la foule ne s’y trompait pas, les enfans suivaient et les chiens aboyaient. Les Anglais en avaient pris leur parti, et, bien convaincus que toutes leurs précautions étaient vaines, ils se préoccupèrent beaucoup moins de leur déguisement, visitèrent les villes à pied, s’arrêtèrent devant les boutiques, sans péril aucun et sans autre inconvénient que la curiosité importune et vraiment étouffante des populations, qui, pour la première fois peut-être, contemplaient des figures européennes. Quant aux mandarins, ils ne se souciaient probablement pas de se créer des difficultés en arrêtant ces trois étrangers ; ils se bornaient donc à les entourer d’une surveillance inostensible, et se passaient d’un district à l’autre le mot d’ordre pour qu’on les laissât tranquilles, à moins d’excentricités trop caractérisées. La consigne de tolérance fut exécutée par la douane de Hang-chou au grand déplaisir de M. Cooke, et quand les trois Anglais, portés dans des palanquins, franchirent, non sans quelque appréhension, la principale porte de la ville, l’officier de garde tourna négligemment le dos et fit semblant de ne rien voir. Il savait tout.

Hang-chou est une ville sainte ; elle a été autrefois la capitale de l’empire. Les annales catholiques parlent de huit cents fidèles qui y ont reçu le martyre. C’est une cité de la vieille roche, où doivent se conserver plus vivaces que partout ailleurs les préjugés hostiles aux étrangers. M. Cooke se contenta donc de la traverser, moitié en palanquin, moitié à pied : il n’éprouva pendant cette courte visite aucune avanie ; il put même s’asseoir impunément à la porte d’un restaurant et y boire en plein air, sous les yeux de la foule, une tasse de thé. Les voyageurs firent un plus long séjour dans un village voisin, nommé Si-hou, célèbre dans toute la Chine par ses temples bouddhiques et par ses bonzeries. Cet endroit offrait à M. Cooke, ainsi qu’à son compagnon M. Edkins, un attrait particulier. Comme touristes, ils pouvaient contempler dans leurs formes les plus pures et les plus gigantesques les temples consacrés à Bouddha, les immenses statues de ce dieu représenté sous ses multiples transmigrations ; de magnifiques cavernes creusées par la nature, décorées par la superstition et peuplées de bonzes, catacombes païennes parées,