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breux affluens du grand canal. Je désespère vraiment de donner une idée du travail cyclopéen, de l’énorme trafic, de l’industrie patiente, de l’incroyable fertilité, du contentement individuel, du tableau de prospérité et de paix que j’ai sous les yeux. Les pagodes sont en ruines, et à certains endroits les quais se dégradent. Les grandes jonques impériales, destinées au transport des grains, pourrissent enfoncées dans la vase, et les quelques forteresses qui s’élèvent çà et là sont à moitié démolies. Il est certain que le gouvernement de ce vaste empire tombe au dernier degré de la décrépitude, et pourtant cette impuissance d’en haut n’a point encore affecté le bonheur des sujets, ni détruit les semences de richesse que féconde, dans un sol fertile, l’opiniâtre labeur du peuple ! »

Après cinq jours de voyage, M. Cooke et ses compagnons arrivèrent à l’extrémité du grand canal, dans le faubourg de Hang-chou. Cette ville compte parmi les principaux marchés de la Chine, et sa douane verse chaque année au trésor impérial un revenu considérable, provenant de droits de transit auxquels sont assujetties toutes les marchandises chargées sur le canal. Les Anglais ont toujours soupçonné que, malgré les assurances formelles des mandarins et contrairement aux traités, les produits européens sont frappés, dans les douanes intérieures de l’empire, et notamment à Hang-chou, de taxes très élevées ; mais il est si difficile de connaître au juste ce qui se passe en Chine, qu’ils n’ont jamais pu obtenir de preuve certaine sur laquelle ils fussent en mesure d’adresser au gouvernement une réclamation en bonne forme. M. Cooke s’était donc proposé d’élucider la question. Les marchandises anglaises payaient-elles des droits à la douane de Hang-chou ? Quels droits payaient-elles ? Le Times eût certes ajouté un beau fleuron à sa couronne en révélant aux fabricans de Manchester, par la voie de son correspondant en promenade à travers la Chine, un mystère que ni les diplomates, ni les consuls, ni les négocians les plus experts n’avaient encore pu découvrir ! Voici donc M. Cooke à l’assaut du tarif chinois. Il ordonne à son batelier de pousser droit au quai de la douane ; pendant ce temps, il tire de sa malle une magnifique pièce de calicot, des couteaux, et tout ce qu’il peut trouver de bon à offrir au fisc ; il met ses marchandises en évidence, sur la table de la cabine, et il attend, bien décidé à avoir une forte discussion avec les douaniers pour le paiement des droits. L’agent du fisc se présente, jette les yeux dans la cabine, et, sans autre cérémonie, fait signe au batelier qu’il peut passer. « Comment ! s’écrie M. Cooke, que l’on dise vite que j’ai des droits à payer ! » Le domestique A’Lin, chargé de la commission, rapporte que le douanier a répondu que tout était bien, et qu’on pouvait partir. « Retourne, cours lui dire que la cale est pleine de sel, et que le coffre est bondé de contrebande ! » Le doua-