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en Chine ; obligé de rengainer sa plume de guerre, il déserte les états-majors pour se promener en curieux à Macao, dans les ports de la côte, Swachou, Namoa, Amoy, Ning-po, Shang-haï, au milieu des pirates et des mille petites misères de la vie chinoise. De correspondant politique et militaire, M. Cooke se fait touriste et humoriste, et nous n’avons réellement pas à nous plaindre de la métamorphose. Il suffit d’être bien averti et de se trouver prêt pour le moment où les graves questions de la politique reviendront, comme on dit en style officiel, à l’ordre du jour, et où lord Elgin, après sa courte excursion dans l’Inde, reparaîtra sous les murs de Canton en présence du mandarin Yeh. Pour être autant que possible au courant des nouvelles chinoises, le représentant du Times s’est procuré à prix d’argent, dans les bureaux du commissaire impérial, un sous-correspondant qui lui transmettra de temps à autre des informations puisées, assure-t-il, aux meilleures sources. C’est ainsi qu’il obtiendra des rapports sur les menées des Américains et des Russes, sur les progrès de l’insurrection, sur les perplexités de la cour de Pékin, sur les préparatifs de guerre. Ces dispositions prises, il peut se mettre en route.

La Chine, il faut le dire, prête médiocrement aux descriptions admiratives. La nature y est d’ordinaire simple, parfois gracieuse, rarement pittoresque, plus rarement encore majestueuse et grande. La variété ne s’y rencontre pas. Que l’on parcoure les récits des voyageurs qui ont visité les différentes régions de l’empire, on trouvera que partout l’aspect général du pays est presque absolument le même : partout mêmes paysages, mêmes villes, mêmes habitans. Ce qu’il y a de plus curieux en Chine, ce sont les Chinois ; c’est l’extrême population, c’est la vie humaine prodiguée à l’infini dans cette portion de notre planète. En suivant la côte sur le steamer qui le portait vers le nord, M. Cooke ne peut s’empêcher d’admirer le nombre prodigieux de villes et de villages qui se succèdent sans interruption sous sa longue-vue, les masses de jonques et de bateaux de toute forme qui couvrent l’Océan jusqu’aux limites les plus reculées de l’horizon. Le sol ne suffit pas : la population campe sur les fleuves et sur les lacs ; elle s’épand dans la mer et forme autour de la terre ferme une sorte de ceinture mouvante, qui tantôt s’élargit au souffle des brises favorables, et tantôt se resserre, se presse et s’enroule au fond des baies, sous les menaces de l’ouragan ou des pirates. Cette exubérance de population a frappé M. Cooke, comme elle a émerveillé tous les voyageurs qui l’ont précédé. Quant aux villes où le correspondant du Times s’est arrêté pendant les courtes relâches du bateau à vapeur, il ne trouve rien de particulier à en dire, si ce n’est qu’elles sont uniformément sales, mal bâties, peu saines, à ruelles étroites et obscures, d’un séjour fort dés-