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critiquer, s’il le juge à propos, les paroles et les actes ? Ils sont bien bons en vérité, peut-être bien imprudens, de ne point tenir à distance, comme ils en auraient le droit et le pouvoir, l’indiscret gentleman. Ces réflexions sont assez naturelles ; mais le public anglais a ses exigences : il veut être informé, et il a la faiblesse de penser que les dépêches diplomatiques ou les bulletins officiels ne l’informent point suffisamment. Il trouve donc très commode de lire dans son journal une correspondance qui le tient au courant des affaires auxquelles il s’intéresse. Ce serait presque lui manquer de respect que de malmener ou seulement d’éconduire, sans motif sérieux ou sous prétexte de discipline, l’écrivain qui s’est chargé de l’approvisionner de nouvelles, et il ne permettrait pas que le gouvernement s’avisât de couper les vivres à son insatiable curiosité. Et que dirait le Times, que diraient tous les journaux anglais, si l’on contestait à leurs correspondans le droit antérieur et supérieur d’aller et de venir, le droit d’écouter et de voir, le droit d’écrire, alors qu’il s’agit d’un grand intérêt national ? Il y aurait dans la presse des trois royaumes une véritable émeute. En conséquence, diplomates et généraux s’accommodent tant bien que mal de la présence du correspondent, surtout quand celui-ci porte le pavillon du Times ; ils lui font peu à peu bon visage et lui donnent place dans les rangs.

Que pourrait-on d’ailleurs lui reprocher ? Sans doute, il conserve son indépendance, qui est l’essence même et l’honneur de sa mission : il appréciera, il blâmera la marche des affaires, il ne se gênera pas pour signaler les abus ni pour attaquer les personnes ; mais en même temps il demeure chargé d’une lourde responsabilité, et ce sentiment le tient en garde contre les jugemens hasardés et les indiscrétions qui seraient nuisibles au service public. Il peut être à son tour discuté et réfuté soit par la presse locale, instinctivement jalouse à l’endroit du nouveau-venu, soit par le correspondant d’un autre journal de Londres, soit enfin par les fonctionnaires, par les officiers, par le plus humble soldat dont il aura contrarié les opinions, car tout le monde écrit au Times. Il n’a donc qu’à se bien observer, même dans ses improvisations les plus rapides, et l’exactitude la plus scrupuleuse lui est commandée sous peine d’un vigoureux démenti. D’un autre côté, ne voit-on pas à quel point son concours peut être précieux pour la diplomatie, pour l’autorité militaire, pour le gouvernement ? Supposez une négociation difficile, dans laquelle on n’aura pas obtenu tout ce que la nation se croyait en droit d’espérer. L’ambassadeur, fût-il lord Elgin, aura beau accumuler dépêches sur dépêches et transmettre au ministre des affaires étrangères la compendieuse justification de sa conduite ; qu’il ne se flatte pas d’être cru sur parole, ni d’échapper aux ardentes attaques d’une opposition toujours en éveil. Voici la lettre du corres-