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vrance de leur malheureuse ville. A l’instant même, Villars court avec sa bande investir la maison de ce conseiller, qui réussit à se sauver. On revient donc à Chevalier, et on le jette dans la prison de l’hôtel de ville, d’où on ne sortait guère que pour aller au supplice. Deux heures après, le tribunal de l’Ormée s’assemble, composé de cordonniers, de pâtissiers et d’apothicaires. Chevalier est condamné à mort. Il demande un prêtre pour se confesser; les philosophes de l’Ormée, les prédicateurs de la liberté religieuse à la mode de l’Angleterre, se moquent de lui; on ne veut lui permettre la confession que s’il consent à la faire tout haut, et à son refus sur-le-champ on le pend à la potence de l’hôtel de ville.

Jacques Filhot[1] était un ancien militaire, devenu trésorier de France à Montauban, qui dans toutes les occasions avait montré un grand zèle pour le service du roi. Sa femme était d’une très bonne famille de Bordeaux, et elle était venue pour y faire ses couches, déjà dans une grossesse avancée. Filhot l’y avait accompagnée, et il put assister à l’horrible promenade du père Ithier. Cette âme fière et généreuse en fut révoltée. Il s’associa avec Dussaut, conseiller au parlement, fils de l’avocat-général de ce nom, qui s’était tant distingué en 1650 dans le parti des princes, et aussi avec le marquis de Théobon, gentilhomme protestant et officier du plus grand mérite, qui, comme l’avocat-général Dussaut, avait commencé par servir la fronde et venait même de défendre Villeneuve-d’Agen avec une valeur opiniâtre : les excès de l’Ormée l’avaient converti à la cause de l’ordre et de la royauté. Tous les trois forment une conspiration à la fois civile et militaire. Filhot en était l’âme; il se chargea de négocier avec le duc de Candale, qui bloquait la ville et était alors à Cadillac, la vieille et presque royale demeure des d’Epernon. Voici le moyen qu’employa Filhot afin d’arriver au duc de Candale sans éveiller aucun soupçon. Il sollicita et obtint du prince de Conti un passeport pour aller à Montauban exercer sa charge. Un des officiers du duc de Candale s’oppose à son voyage, alléguant qu’il a des ordres formels de ne laisser passer personne venant de Bordeaux : Filhot s’emporte sur ce qu’on empêche un trésorier de France de faire son service, et il demande à parler au duc de Candale. Dès qu’ils sont seuls, Filhot s’explique. Ils arrêtent ensemble et signent le 31 mai 1653 un traité où une amnistie nouvelle et plus étendue ainsi que le maintien de toutes les franchises de Bordeaux sont formellement stipulés, car cet ardent serviteur du roi était aussi un excellent citoyen. Cela fait, Filhot s’en retourne à Bordeaux, et, jouant à merveille son personnage, il s’en va porter plainte au

  1. Tout ce récit est fidèlement tiré de Devienne, de Berthod et de la Gazette.