Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et devant les maisons du prince de Conti, de la princesse de Condé et de la duchesse de Longueville. Le père Ithier soutint tous ces affronts avec une constance et une dignité admirables. La populace, qui voulait du sang, fit effort pour l’arracher à ses gardes et le mettre en pièces. Il fallut faire entourer la charrette où il était par des compagnies de gens de guerre, qui empêchèrent qu’on ne se jetât sur lui. L’Ormée chercha du moins à se satisfaire par des imprécations et des injures. Il y eut presque une sédition parce que la vie d’un homme avait été épargnée, et Lenet, épouvanté, s’adressant à Mme de Longueville, lui dit : « Voilà, madame, l’effet de vos beaux conseils! Si on eût égorgé ou pendu ce moine, nous ne serions pas en ces peines[1]. » Involontaire hommage rendu à la bonté de Mme de Longueville! Elle ne s’en tint pas là : dès que le père Ithier eut été ramené et déposé dans la prison de l’hôtel de ville, elle voulut lui apporter dans son malheur la consolation la plus chère au cœur d’un prêtre : en dépit de toutes les résistances, elle lui fit rendre l’habit religieux[2], Nous l’avouons, il nous est doux de recueillir ces traits de générosité et de délicatesse échappés à ce grand cœur égaré dans la guerre civile.


VIII.

Voici maintenant deux hommes de la bourgeoisie qui, au lieu de se laisser intimider par l’exemple du père Ithier, osèrent reprendre ses desseins, au risque d’avoir le même sort. Essayons de disputer à l’oubli ces dévouemens obscurs à moitié trahis par la fortune et trop méconnus par l’histoire.

L’avocat Chevalier était lié avec plusieurs conseillers du parlement restés dans la ville, et qui y travaillaient au rétablissement de l’autorité royale, de concert avec leurs anciens collègues réunis à Agen[3]. Chevalier leur servait d’intermédiaire, et il allait souvent de Bordeaux à Agen et d’Agen à Bordeaux. L’Ormée était sur sa trace, et un jour qu’il était déjà dans le bateau qui le devait mener à Agen, Villars, ce misérable Villars, qui, pour effacer les ombres qu’avait pu laisser sa conduite dans l’esprit soupçonneux de la faction régnante, rivalisait d’emportement avec les plus cruels ormistes, arrêta Chevalier et le traîna chez le prince de Conti. L’on fouille Chevalier, on trouve sur lui une lettre d’un conseiller de Bordeaux qui avertissait un de ses amis d’Agen que dans peu de jours éclaterait, avec de grandes chances de succès, l’entreprise qu’ils avaient formée pour la déli-

  1. Mémoires du père Berthod, p. 415.
  2. Devienne, p. 463.
  3. Gazette, p. 469; dom Devienne, p. 465, et le père Berthod, p. 420 et 422.