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sûr, leur donna des armes, et se mit ainsi à l’abri d’un coup de main de Duretête ou de quelque autre chef; puis il s’appliqua à séduire les principaux tribuns de l’Ormée, avec lesquels il était lié, en promettant à chacun d’eux cinq écus. Ce n’était pas cher, et l’on fournit à Villars tout l’argent qu’il demanda. Pendant ce temps, le père Ithier, par le moyen d’un bourgeois son parent, et qui portait le même nom que lui, gagna tout le quartier de Saint-Michel. D’autres conjurés travaillèrent les autres quartiers. Le père Berthod choisit à Blaye six officiers qui devaient venir à Bordeaux commander les milices bourgeoises. Un régiment de l’armée royale était déjà embarqué sur les vaisseaux du duc de Vendôme; il devait remonter la Gironde jusqu’à Lormont[1], afin d’appuyer le mouvement, s’il réussissait, ou, en cas de malheur, de recueillir les fugitifs. Il fut décidé que le mouvement aurait lieu le 23 mars, pour profiter de l’absence du redouté Marsin, qui avec ses troupes était allé tenir tète au duc de Candale dans la Haute-Guienne. Tout était prêt; mais le 16 de mars Villars, saisi d’effroi au moment d’agir et n’étant pas homme à s’arrêter à une seule trahison, s’en alla tout révéler au prince de Conti. L’indignation contre le père Ithier fut au comble dans la maison du prince; Mme de Longueville la partagea, et il n’y eut pas jusqu’à l’abbé de Cosnac qui n’appelât une punition exemplaire[2] sur la tête du déloyal religieux. Cosnac avait ses raisons pour s’emporter plus que les autres, car il avait eu avec le père Ithier quelques conférences où il lui avait témoigné le dessein de porter le prince de Conti à faire sa paix avec la cour. Il avait donc grand’peur que le père ne le nommât dans ses interrogatoires et ne l’enveloppât dans sa disgrâce. Lenet fit comprendre au prince de Conti que, pendant l’absence de Marsin et des troupes, on ne pouvait pas sévir comme il était nécessaire, qu’il fallait presser leur retour, et, en l’attendant, amuser les conjurés, obtenir des preuves convaincantes, et surtout mettre la main sur l’argent promis, dont le prince, Marsin et lui avaient grand besoin. Villars alla donc, le 20 mars, trouver le père Ithier, et lui présenta les six ormistes qui devaient, avec les gens dont ils disposaient, descendre dans la rue et commencer l’insurrection. On distribua les postes, on arrêta le mot d’ordre : Vive le roi et la paix. Le père Ithier prit l’engagement, dès que ce cri se ferait entendre, de faire sortir des divers couvens de Bordeaux des religieux qui le répéteraient et animeraient le peuple. Il remit à Villars 15,000 livres argent comptant, et lui montra les lettres de change destinées à acquitter le reste des 30,000 écus.

  1. Village sur la Gironde fort près de Bordeaux.
  2. Mémoires de Cosnac, t. Ier, p. 43.