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ne fût pas étonné quand plus tard on le rencontrerait dans les rues; mais vingt-quatre heures n’étaient pas écoulées que le mystère de son voyage était connu du prince de Conti. A Paris, dans la chambre même de la reine, pendant qu’elle recevait le père Berthod et lui expliquait tout ce qu’il avait à faire, était une femme dont la reine ne se défiait pas, qui entendit toute la conversation, et alla bien vite la redire à l’un des partisans de M. Le Prince, en sorte que le prince de Conti avait été immédiatement averti. Il se hâta donc de faire venir le père Ithier, et, lui parlant comme à un ami, lui dit qu’il recevrait bientôt un père Berthod, envoyé à Bordeaux par la reine pour y travailler contre son frère et contre lui, et qu’il le priait de l’informer dès que ce dangereux émissaire aurait mis le pied dans son couvent. Le père Ithier assura le prince qu’on l’avait trompé, que le père Berthod n’était nullement un conspirateur, mais un bon religieux qui venait à Bordeaux pour rétablir sa santé, qu’il était arrivé et passait sa vie au chœur. *

Quelques jours après, le prince de Conti, ayant reçu de nouvelles lettres de Paris, bien autrement précises et détaillées, envoya chercher le père Berthod le premier jour de l’année 1653 ; il lui dit qu’il savait tout, qu’il était obligé de se saisir de sa personne, et qu’il allait le faire conduire dans les prisons de l’hôtel de ville, que néanmoins, s’il voulait avouer la vérité, il le traiterait doucement et ne le livrerait point à l’Ormée, qui déjà le réclamait. Le père Berthod, averti par son confrère, commença par répondre comme celui-ci avait fait; mais le prince, reprenant la parole, lui demanda s’il n’était pas vrai qu’il avait pris congé de la reine, s’il n’avait pas conféré avec elle une grande demi-heure, s’il n’avait pas vu Servien, Letellier, l’évêque de Glandèves, l’archevêque de Bordeaux, et il lui fit voir les deux lettres qu’il avait reçues. Cependant, comme ces lettres, avec un grand nombre de choses vraies, en contenaient beaucoup de fausses, le père, sans se troubler et en conspirateur exercé, avoua les unes en leur donnant une bonne couleur, et nia les autres avec une fermeté qui en imposa au prince de Conti. Lenet nourrissait toujours le vœu et l’espoir secret d’un accommodement : il crut avoir trouvé dans le père Berthod l’homme qu’il lui fallait pour parvenir à ses fins. Il eut avec lui plusieurs entretiens où il tâcha de lui faire comprendre que, puisqu’il était chargé par la cour de procurer le rétablissement de l’autorité royale à Bordeaux, il pouvait s’acquitter de cette commission à la satisfaction universelle, et se donner aisément l’honneur de la pacification de la France et même de l’Europe. « Écrivez à la cour, lui dit-il[1],

  1. Mémoires du père Berthod, p. 381.