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rité le feu que pour avoir dit la vérité. Vous avez donc souffert, messieurs de Bordeaux, qu’on fît le sacrifice de lettres et de caractères pour apaiser la crainte du tyran et la colère de la duchesse vertueuse. Mais, quoique vous soyez nés pour la servitude et que vous ne respiriez plus que le sentiment des âmes lâches et basses, je ne désespère pas du salut public, sachant comme je sais que les esclaves de l’Ormée, les pensionnaires de l’altesse bossue, cette lie du sang bordelais, ces gueux autorisés, ces milords de la plateforme[1], ces sénateurs de marché et de places publiques, enfin cette canaille de halle et de carrefour ont prêté main-forte à cette glorieuse exécution sous la conduite du bourreau qui sera un jour leur bienfaiteur. Mais nous ne cesserons pour cela de placarder, dussions-nous mettre le placard sur le nez et sur la bosse de Conti et dans le lit de sa sœur[2].

« Après ceci, il faut que le tyran tremble, et que la peur lui cause de plus horribles frissons que sa fièvre quarte.

« Messieurs qui lisez ce placard, ne l’arrachez pas, je vous prie; mais laissez-le afin que tout le monde le voie.

« Ne croyez pas que ce soit Dublanc Mauvezin (membre du parlement qui venait d’être chassé de Bordeaux, avec son fils, procureur syndic) qui ait placardé lundi matin; c’est un autre homme, qui égorgera le prince de Conti et qui couvrira le pavé de son corps. »


VII.

Le clergé de Bordeaux ne resta pas en arrière du parlement dans cette lutte suprême de la royauté et de la fronde.

On sait avec quel art Richelieu s’était servi de sa dignité de prince de l’église pour mettre la main sur la plupart des ordres religieux dont il avait eu soin de se déclarer le protecteur, et qu’ainsi il avait formé autour de lui une milice habile et dévouée qu’il employait avec le plus grand succès dans toutes ses affaires, négociations diplomatiques ou intrigues de cour, depuis le père Joseph, son ministre auprès de l’Allemagne, jusqu’au père Carré, qui surveillait pour lui tous les mouvemens et même les plus secrètes pensées de Mme de La Fayette et de Mme d’Hautefort. Sorti lui-même de cette école, le cardinal Mazarin la continua. Il entretenait partout de nombreux agens ecclésiastiques, français et italiens. L’abbé Fouquet, frère du surin- tendant, et l’abbé Ondedei, depuis évêque de Fréjus, lui étaient des conseillers aussi écoutés et aussi utiles que Nicolas Fouquet lui

  1. Cela ne prouve-t-il pas qu’il y avait beaucoup d’Anglais dans l’Ormée?
  2. L’original : » Dans le lit de sa p….. de sœur. »