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mier soin du prince de Conti et de Cosnac fut de ne pas éveiller le moindre soupçon dans l’esprit de Mme de Longueville. Pour la mieux tromper, Conti redoubla de zèle en apparence, et lui disputa la faveur de l’Ormée, et c’est sa main, guidée par celle de son digne conseiller, qui, dans les premiers jours d’avril 1653[1], signa les instructions criminelles données à MM. de Trancas, Blarut et Dezert, députés de l’Ormée auprès de la république d’Angleterre. Mme de Longueville, abusée, ne se douta pas de la trahison qui se tramait. En vain de temps en temps, avertie par les murmures soupçonneux de l’Ormée, que ses instincts ne trompaient pas, et trouvant elle-même étranges les allures de son frère, elle tentait de se rapprocher de lui et de reprendre son ancien ascendant : toutes les avenues du cœur de Conti étaient soigneusement gardées. L’abbé de Cosnac n’avait pas manqué de renouveler et d’augmenter leurs brouilleries dès qu’il avait vu Mme de Longueville bien résolue à ne point abandonner Condé, et ces divisions, d’abord tout intérieures, finirent par éclater au dehors et par devenir publiques, grâce aux indiscrétions de l’entourage du prince et à l’habileté des partisans de Mazarin, appliqués à envenimer et à répandre ces querelles domestiques, afin de nuire à celle qui était devenue l’âme du fameux triumvirat, comme l’appelle l’abbé de Cosnac.

Nous le demandons à tout homme de bonne foi, à présent que tous les voiles sont levés et que le dessous des cartes est à découvert en bien et en mal : Mme de Longueville est-elle coupable de ces divisions dont on a fait tant de bruit? Devant les révélations inattendues de l’abbé de Cosnac, que deviennent les accusations de La Rochefoucauld? Voudrait-on que dès l’origine, pour prévenir les emportemens jaloux de son jeune frère. Mme de Longueville se fût prêtée davantage à une passion ridicule? Elle n’avait déjà que trop fait, et quelle âme honnête la blâmera d’avoir aimé mieux s’exposer, comme le dit fort bien l’abbé de Cosnac lui-même[2], « aux effets de la haine de son frère qu’à ceux de son amitié? » Devait-elle ensuite condescendre aux tristes amours de Conti? Plus tard elle pouvait encore, il est vrai, se réconcilier avec lui en l’imitant; mais l’idée seule d’une semblable lâcheté ne se présenta pas même à son esprit. Pas un jour, pas une heure elle ne consentit à séparer son sort de celui de Condé et à fléchir le genou devant ses ennemis victorieux.

  1. Voyez la Revue du 15 juin, p. 783.
  2. Mémoires, p. 23.