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devait tant à Mme de Longueville, se ménagea le plus longtemps qu’il put entre la sœur et le frère, les flattant tour à tour et les trahissant tous les deux. Enfin Chémeraut, emporté par la passion et par l’intérêt, forma résolument le dessein de s’emparer de l’esprit de son jeune maître, en attaquant avec art et en détruisant peu à peu auprès de lui tous ceux qui jusqu’alors étaient en possession de le conduire. Il ne tarda pas à entraîner Sarasin dans ce complot.

Les deux habiles et effrontés courtisans commencèrent par s’adresser à l’amour-propre du prince de Conti, et lui représentèrent qu’il n’avait point à Bordeaux le pouvoir qui lui était dû, et qu’il était traité beaucoup trop légèrement par Lenet et surtout par Marsin. Ils lui insinuèrent que M. Le Prince, à Paris, dans ses négociations secrètes avec la cour, avait fort négligé ses intérêts, tandis que Condé n’avait jamais cessé de réclamer pour son frère l’important gouvernement de Provence à la place de celui de Champagne et de Brie. Ils ne manquèrent pas de lui faire sentir le ridicule de ses sentimens passionnés pour une sœur qui n’était pas du tout l’Uranie qu’il se figurait, et ne s’en tenait point à des adorations platoniques comme les siennes, qui depuis plusieurs années avait, sans qu’il s’en doutât[1], pour amant déclaré La Rochefoucauld, qui venait de commencer une intrigue nouvelle avec le duc de Nemours, et avait peut-être quelque secret favori parmi les jeunes et brillans officiers empressés à lui faire la cour. Et ici nous-même, recherchant par-dessus tout la vérité et n’ignorant pas que la punition d’une faute est presque toujours d’en amener d’autres, nous avons voulu savoir si la conduite de Mme de Longueville à Bordeaux avait fourni quelque prétexte à ce dernier propos, et voici tout ce que nous avons pu trouver. Lenet dit qu’à Bordeaux le marquis de Gerzé s’attacha un moment à Mme de Longueville[2]; mais lui, qui

  1. Retz, t. Ier, p. 186 : « M. de La Rochefoucauld faisoit croire à M. Le prince de Conti qu’il le servoit dans la passion qu’il avoit pour madame sa sœur, et lui et elle, de concert, l’avoient tellement aveuglé, que plus de quatre ans encore après il ne se doutoit de quoi que ce soit. »
  2. Lenet, p. 540 : « Gerzé s’attachoit à la duchesse de Longueville. Je crus avoir eu l’occasion de l’observer ; j’en donnai avis au prince (de Condé). » Cette observation n’est pas répétée dans Lenet.