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projets, des dessins, et quelquefois les compositions entières de leurs tableaux.

Il paraît cependant avoir préféré à l’amitié des grands personnages celle des petites gens, dont les habitudes simples et la naïveté lui plaisaient. Il fut très attaché non-seulement à son domestique Urbino, qu’il traitait comme un ami, mais au Popolino, son marbrier, dont il corrigeait avec le plus grand sérieux les informes ébauches, et au Menighella, « peintre médiocre du Val-d’Arno, mais personnage très plaisant, qui venait de temps en temps le prier de lui dessiner un saint Roch ou un saint Antoine, d’après lequel il peignait un tableau pour les campagnards. » Michel-Ange, qui se décidait avec peine à travailler pour les rois, abandonnait aussitôt son ouvrage pour composer des dessins naïfs qu’il accommodait au goût de son ami. Il fit entre autres choses pour le Menighella le modèle d’un Christ en croix, avec un creux pour mouler des épreuves en carton que le peintre allait vendre dans les campagnes, et Michel-Ange « se divertissait beaucoup des petites aventures qui arrivaient à l’artiste ambulant. » Bon et généreux, comblant ses élèves et ses amis, soulageant les malheureux, dotant de pauvres filles, enrichissant son neveu, à qui il ne donnait jamais moins de 3 ou 4,000 écus à la fois, il était lui-même intraitable à l’égard des présens, « qu’il regarda toujours comme autant de liens incommodes et difficiles à rompre. » Il vivait assez chétivement et disait à ce propos à Condivi : « Quoique je sois riche, j’ai toujours vécu comme un pauvre homme. » Il se traitait avec dureté, jusqu’à porter dans sa vieillesse des guêtres de peau de chien sur ses jambes nues. Il admettait rarement un ami à sa table : quand il travaillait, il se contentait d’un morceau de pain, qu’il mangeait sans s’interrompre, et d’un peu de vin. C’est avec cette sobriété qu’il vécut jusqu’au moment où il commença les peintures de la Sixtine. Alors déjà âgé, il s’accorda un repas frugal qu’il prenait à la fin de la journée.

Michel-Ange était d’une activité extraordinaire, mais il avait le travail inégal. Il restait quelquefois des mois entiers, absorbé et méditant, sans toucher ni ses brosses, ni ses ciseaux; puis, lorsqu’il avait trouvé sa composition, il se mettait à l’œuvre avec une sorte de furie. Il abandonnait souvent son travail au milieu de l’exécution, découragé et même désespéré, parce que, dit Vasari, « il avait une imagination si sublime, que souvent ses mains ne pouvaient exprimer ses grandes et terribles pensées. » D’ordinaire il jetait impétueusement sa première idée sur le papier, puis reprenait longuement chacune des parties et quelquefois l’ensemble, comme on le voit dans plusieurs de ses dessins, minutieusement achevés. Vasari assure qu’il dessinait souvent la même tête dix ou douze fois avant d’en être satisfait. Certaines de ses études sont exécutées d’une main tellement sûre, qu’il a pu s’en servir pour modeler, comme le prouvent les repères qu’on y remarque; mais en général il faisait de petites maquettes en cire dont plusieurs se sont conservées. Sans prendre très exactement ses mesures, il attaquait directement le marbre, ce qui lui joua parfois de mauvais tours. Il dormait peu, et se relevait souvent la nuit pour travailler. Il avait imaginé de se mettre sur la tête une sorte