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le soir de la vie au port commun, où tout homme vient rendre compte du bien et du mal qu’il a faits.

« Je reconnais combien, dans son idolâtrie pour les arts, mon âme passionnée fut sujette à l’erreur, car il n’y a qu’erreur dans les affections terrestres de l’homme.

« Pensers amoureux, imaginations vaines et douces, que deviendrez-vous maintenant que je m’approche de deux morts, l’une certaine, l’autre menaçante ?

« Ni la peinture ni la sculpture ne peuvent suffire pour calmer une âme qui s’est tournée vers toi, ô Dieu, qui as ouvert pour nous tes bras sur la croix! »


En 1562, la santé de Michel-Ange commença visiblement à décliner. Vasari s’inquiéta et engagea le duc Cosme à demander au pape de faire inventorier et mettre en sûreté les cartons, les modèles, les projets, les dessins de Michel-Ange. Il en avait déjà brûlé une partie, et on voulait sauver au moins ce qui était relatif à la sacristie, à la façade et à la bibliothèque de Saint-Laurent, ainsi que les plans préparés pour les constructions de Saint-Pierre. Son neveu avait été prévenu. Il devait arriver à Rome vers le carême. Michel-Ange fut pris d’une fièvre légère, il prévoyait sa fin et pria qu’on écrivît à Leonardo de se hâter; mais sa maladie fit des progrès rapides. En présence de Donati, de Daniel de Volterra et de quelques autres de ses amis, il dicta ce bref testament : « Je laisse mon âme à Dieu, mon corps à la terre, et mes biens à mes plus proches parens. » Il mourut le 17 février 1563, âgé de quatre-vingt-neuf ans moins quelques jours.

Aussitôt après sa mort, le pape fit déposer son corps à l’église de San-Apostolo, en attendant qu’on lui eût élevé un tombeau à Saint-Pierre. Dès que Leonardo fut arrivé, les amis qui avaient assisté aux derniers momens de Michel-Ange lui apprirent que le moribond avait supplié qu’on transportât ses restes à Florence; mais l’émotion de la population de Rome avait été telle lors du service célébré à San-Apostolo, qu’on craignit qu’elle ne s’opposât à la translation du corps, de sorte que Leonardo fut réduit à l’enfermer dans une balle de laine et à le faire sortir secrètement de la ville. Il fut inhumé à Santa-Croce, où on lui éleva un monument somptueux, dessiné par Vasari et exécuté par Batista Lorenzo.

Malgré des travers qu’on lui a reprochés, la violence de son caractère, son esprit irritable et sarcastique, son amour presque maladif de la solitude, Michel-Ange fut lié avec les hommes les plus distingués et les plus célèbres de son temps, sans compter les sept papes qui l’employèrent, et avec lesquels il vécut, en dépit de quelques orages, dans les plus familières et les plus honorables relations. Les cardinaux Pole, Bembo, Contarini, Hippolyte de Médicis, et tant d’autres, furent parmi ses plus intimes et ses plus constans amis. Quant à ses élèves, Sébastien del Piombo, Daniel de Volterra, Rosso, le Pontormo, Vasari, on sait assez, par le témoignage de ce dernier, quelle ardeur il mettait à les protéger, avec quelle générosité il leur donnait non-seulement ses conseils, mais des