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de l’art, qui serait à juste titre le premier, si l’autre (la Sixtine) n’existait pas. C’est une salle et deux chambres et les loges dans le palais appartenant à l’église de Saint-Pierre[1]. » D’ailleurs, malgré ses griefs, il lui avait de tout temps rendu justice. « Il donnait volontiers des louanges à tous, dit Condivi, même à Raphaël, avec qui il avait cependant eu quelques contestations. » Et le Bocchi raconte qu’après avoir reçu cinq cents écus à-compte sur ses Sibylles de la Pace, Raphaël réclamant d’Agostino Chigi le surplus de la somme qu’il pensait lui être due, celui-ci fit quelques difficultés : Michel-Ange fut nommé arbitre, et, rempli d’admiration, il répondit que chaque tête valait cent écus.

Son caractère néanmoins reprenait toute sa rudesse dès qu’il s’agissait de Saint-Pierre. «Toutes les saletés des san-gallistes[2] révoltaient, dit Vasari, la probité de Michel-Ange, qui, avant d’accepter le titre d’architecte, dit un jour hautement aux agens de la fabrique qu’il leur conseillait de réunir tous leurs efforts pour l’exclure de cette place, parce que le premier usage qu’il ferait de son pouvoir serait de les chasser. » La cabale fut un moment sur le point de l’emporter. Sous Pie IV, les intrigues redoublèrent. Michel-Ange avait quatre-vingt-sept ans. Ses ennemis assuraient qu’il radotait et menait tout au plus mal. Il paraît avoir eu un moment de découragement, et il écrit en 1560 au cardinal de Carpi : « Comme il est vrai que mon propre intérêt et ma vieillesse peuvent facilement m’en faire accroire et porter, contre mon intention, préjudice à cette construction, j’entends, aussitôt que je le pourrai, demander à sa sainteté la permission de me retirer. Je supplie même votre excellence, afin de gagner du temps, de vouloir bien me débarrasser sur-le-champ de ces soins trop pénibles, auxquels je me livre gratuitement depuis dix-neuf ans d’après l’ordre de plusieurs papes[3]. » Plus tard, il se ravisa et répondit à ses détracteurs par le beau modèle du Vatican, que les architectes qui lui succédèrent ont fidèlement suivi. Ce ne fut en effet que bien longtemps après la mort de Michel-Ange, au commencement du XVIIe siècle, que Carlo Maderna, chargé de terminer Saint-Pierre, eut la malheureuse idée d’allonger la partie antérieure de la nef, sans remarquer qu’en changeant la croix grecque du projet primitif en croix latine, il diminuait l’effet de la coupole, dénaturait l’édifice tout entier, et qu’en y ajoutant l’absurde façade du palais qui existe aujourd’hui, il ôtait à une église le caractère religieux qui doit avant tout la distinguer.

Cependant, si Michel-Ange supportait vaillamment les tracasseries in- cessantes des san-gallistes, l’inévitable influence de l’âge l’assombrissait. Jules III ayant un soir chargé Vasari d’aller lui demander un dessin, celui-ci le trouva seul dans son atelier, travaillant à la lueur d’une petite lanterne à sa Déposition de croix de Florence. Tout en causant de choses et d’autres, Vasari jeta les yeux sur une des jambes du Christ qu’il voulait changer. Michel-Ange laissa tomber exprès sa lanterne pour qu’il ne vît pas

  1. Manuscrit de François de Hollande.
  2. Élèves et partisans de San-Gallo qui firent pendant plusieurs années une guerre très vive et peu loyale à Michel-Ange.
  3. Bottari, Lettere pittoriche, t. IV, num. 11.