Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Accoutumée au doux climat de Naples et d’Ischia, Vittoria ne put supporter longtemps l’âpreté de celui de Ferrare. Sa santé était gravement atteinte. Elle dut renoncer à un séjour qui lui plaisait, ainsi qu’au projet qu’elle avait formé de visiter la Terre-Sainte Elle revint à Rome en 1538. On suppose que ses premières relations avec Michel-Ange datent de cette époque, et que ce fut dans la première effusion de sa reconnaissante affection qu’il lui écrivit :


« Je vais d’un pas incertain à la recherche de la vérité ; mon cœur, flottant sans cesse entre le vice et la vertu, souffre, et se sent défaillir comme un voyageur fatigué qui s’égare dans les ténèbres.

« Ah ! devenez mon conseil ; vos avis me seront sacrés ; éclairez mes doutes, guidez ma raison offusquée, préservez mon âme abattue de nouveaux égaremens où pourraient la plonger mes passions; dictez-moi vous-même ma conduite, vous qui sûtes par de si doux chemins me diriger vers le ciel[1]. »


Ce premier séjour de Vittoria à Rome ne fut pas de longue durée. Dès 1541, son frère Ascanio Colonna avait à propos d’un impôt sur le sel fomenté une insurrection et pris les armes contre Paul III. Affligée et de plus en plus lassée du monde, la marquise se retira d’abord à Orvieto, puis au couvent de Sainte-Catherine, à Viterbe, où elle retrouva son savant et pieux ami le cardinal Pole. Elle partageait son temps entre sa retraite et Rome, où elle s’établit tout à fait dans les dernières années de sa vie. Elle y avait fondé une maison de refuge pour les jeunes filles pauvres, et consacrait à l’étude et à Michel-Ange le temps que lui laissaient les œuvres utiles. Pendant longtemps, on a manqué de détails sur la fin de sa vie ; mais la découverte d’un manuscrit faite il y a quelques années par M. Raczynski dans une bibliothèque de Lisbonne permet de combler en partie cette lacune en nous introduisant dans la vie journalière de Michel-Ange et de Vittoria, et en jetant quelque lumière sur les pensées qui occupaient ces grands esprits et sur leurs opinions.

Maître François de Hollande, architecte et enlumineur, avait été envoyé en Italie par le gouvernement portugais pour y étudier les arts; il écrivit la relation de son voyage, retrouvée par M. Raczynski, en 1549, peu de temps probablement après son retour à Lisbonne. Cette relation, assez diffuse, contient quelques passages trop caractéristiques sur Michel-Ange et Vittoria pour qu’on ne les cite pas textuellement[2].


« Dans le nombre des jours que je passai ainsi dans cette capitale (Rome), dit maître François, il y en eut un, ce fut un dimanche, où j’allai voir, selon mon habitude, messire Lactance Tolomée, qui m’avait procuré l’amitié de Michel-Ange par l’entremise de messire Blosio, secrétaire du pape. Ce messire Lactance était un grave personnage, respectable autant par la noblesse de ses sentimens et de sa naissance (car il était neveu du cardinal de Senna) que par son âge et par ses mœurs. On me dit chez lui qu’il avait laissé com-

  1. Madrigal 26.
  2. Les Arts en Portugal, par le comte Raczynski; Paris, Renouard, 1846. — Dialogue sur la Peinture dans la ville de Rome, par François de Hollande.