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Et qu’on sente courir, ainsi qu’un jeune sang,
Au cœur des vieux rameaux une sève nouvelle.
Il faut, toute à l’orgueil de sa fécondité,
Que la nature enfante au grand jour, sans mystère,
Et que la vie à flots, jaillissant de la terre,
Porte au ciel l’hymne saint de sa virilité.

L’homme seul, au milieu de l’éternelle fête,
Vieillit, travaille et meurt. Pour lui, chaque printemps
Est comme une menace ironique du temps,
Et sous un poids plus lourd il sent fléchir sa tête ;
Pour lui, l’herbe qui pousse est un instant qui fuit.
À peine aspire-t-il quelque tiède bouffée
De jeunesse et d’amour, que la volage fée
S’envole, et pour jamais le laisse dans sa nuit.

L’âge vient, ses cheveux blanchissent, et l’Envie
S’assied à son foyer froid et silencieux ;
Il a soif de repos, et pourtant de ses yeux,
Dilatés par la peur, il regarde sa vie
S’éteindre par degrés, mystérieux flambeau.
Et comme le forçat tire après lui sa chaîne,
Infirme, à pas pesans, sur la terre il se traîne
Jusqu’à ce qu’il se heurte au marbre d’un tombeau.
Mais la nature, afin de tromper sa vieillesse,
Emplit d’enfans joyeux et roses sa maison,
Réchauffe de baisers son arrière-saison,
Et lui refait au cœur comme une autre jeunesse ?


ERNEST CHATONET.