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compagnon d’Ulysse, et dans tout bandit pallicare un compagnon du fier Ajax. Ils sont jaloux des étrangers ; tant mieux, c’est une qualité traditionnelle de leur race : leurs ancêtres appelaient tous les peuples du nom de barbares. Ils sont curieux, indiscrets et bavards ; mais jadis dans Athènes le peuple n’avait pas de plus grand plaisir que de causer sur la place publique, et tous les citoyens s’abordaient les uns les autres en demandant ce qu’il y avait de nouveau. Les souvenirs classiques aidant, on peut aller loin dans cette voie des interprétations indulgentes. Et on conçoit sans peine que ces souvenirs classiques soient vraiment tyranniques sur un esprit tant soit peu pédanresque, qui n’a pas un sentiment bien vif de la réalité. Comment les splendeurs du passé ne jetteraient-elles pas leur lumière toujours éclatante et pure sur les misères du présent ? Comment le présent ne serait-il pas écrasé, absorbé par ce passé, surtout lorsque l’enthousiasme qu’inspire ce passé a été réveillé par une lutte encore récente, par ces mots retentissans d’indépendance et de liberté que la Grèce jeta autrefois dans le monde, et qui depuis l’antiquité ont passé de bouche en bouche avec chaque génération ? Mais il en est tout autrement avec M. About. Les souvenirs classiques n’oppriment en rien son esprit, et il juge la Grèce comme s’il n’avait jamais lu Homère et Sophocle. En débarquant, il a jeté à la mer tout son bagage de collège. Dans ces campagnes où se promena Platon, où Diogène roula son tonneau, il vous fait rencontrer avec un moine grossier qui estime, comme M. Jourdain, que l’orthographe est la plus belle des sciences. Si vous rêvez trop aux Vénus antiques, il vous présentera des femmes dénuées de beauté, et là où vous pensiez retrouver ce peuple fin et nerveux, dont l’étonnante intelligence et le bon goût surprenant ont fait l’admiration du monde, il vous montre un peuple ignare, chantant du nez, impropre à tous les arts, qui casse les débris du Parthénon et décharge ses fusils sur les statues. Ajoutez que l’esprit de M. About est aussi peu respectueux qu’enthousiaste. Les anciens universitaires avaient pour les personnes établies un respect superstitieux, qui les a fait justement parfois accuser de servilité ; mais vraiment cette tradition s’est fort affaiblie avant d’arriver jusqu’à M. About. Sa plaisanterie ne ménage rien, ni personne, et atteint même la majesté royale sur son trône. C’est un spectacle à égayer Voltaire lui-même que le spectacle de ce peuple, composé de moines, de fonctionnaires et de bandits, gouverné par un prince bavarois, exploitant l’Europe civilisée dupe de ses admirations classiques, et soumis à l’influence barbare de la Russie. Je ne sais pas jusqu’à quel point le tableau est exact, mais certainement il est des plus divertissans. Jamais on n’a mieux soufflé sur les illusions des philhellènes, et je