Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bataille de Romagnana, qui lui prodigua les soins les plus touchans et fit embaumer et transporter en France le corps du héros.

A la bataille de Pavie, Pescara dirigeait ces fameuses charges qui, en enfonçant la cavalerie française, décidèrent la victoire. Grièvement blessé, il languit quelque temps et mourut en 1525. Dès qu’elle avait appris le danger, Vittoria était partie pour Milan; mais la fatale nouvelle l’atteignit à Viterbe : elle retourna à Naples, où elle resta pendant sept ans plongée dans le plus morne désespoir. C’est durant ces années de deuil qu’elle composa la plupart de ses sonnets à la louange de son mari, qu’elle voyait, à travers son amour et sa douleur, comme le type de l’amant et du héros, et les plus grands poètes ne désavoueraient pas ces vers harmonieux et passionnés.

A la mort du marquis de Pescara, Vittoria n’avait que trente-cinq ans. Elle était dans tout l’éclat d’une beauté que ses contemporains ont célébrée. Plusieurs princes, plusieurs illustres personnages avaient demandé sa main. Elle s’était retranchée dans cette invariable réponse : « que si le choix lui en avait été laissé, elle serait morte avec son mari, qu’il vivait et vivrait toujours dans son souvenir.» C’est au milieu de ce désespoir que ses convictions religieuses, source de l’inspiration de ses Rime spirituate, prirent naissance, et dans des circonstances qui méritent d’être rapportées.

Depuis quelques années, les idées de la réforme avaient fait de grands progrès en Italie. Dans les états vénitiens, à Modène, à Bologne, ces progrès avaient été si rapides que dès 1537 Paul III s’en était ému. La petite cour presque française de Ferrare était devenue une sorte de lieu d’asile pour les protestans fugitifs. Calvin lui-même y passa quelques mois. Mme de Soubise, qui avait été gouvernante de la duchesse, et son fils Jean de Parthenai y séjournaient, La duchesse Renée, qui devait se déclarer si hardiment plus tard, accueillait déjà avec sympathie les idées nouvelles, et la cour la plus aimable et la plus lettrée de l’Italie fut bientôt un foyer d’hérésie qui attira la rude sollicitude du pouvoir papal.

A Naples, l’Espagnol Valdez, que Charles-Quint avait ennobli pour ses services militaires et qu’il avait chargé de plusieurs missions diplomatiques en Allemagne, en avait rapporté la doctrine de Luther. Il était instruit, d’une conversation séduisante, et il devint bientôt le centre d’une association, composée d’abord d’un petit nombre de personnes appartenant aux classes élevées. Parmi ces personnes se trouvaient quelques femmes, et entre autres, d’après l’historien Gianonne, Vittoria Colonna elle-même. « Le poison, dit-il, avait pénétré non-seulement dans le cœur de quelques nobles, mais il avait même atteint les femmes. On pensait, d’après l’intimité qui régnait entre elle et Valdez, que la très célèbre Vittoria Colonna, veuve du marquis de Pescara, et Giulia Gonzaga avaient été souillées par ses erreurs. » Le poète latin Marco Flaminio, l’un des amis les plus intimes de Vittoria, Giovanni Caserta et le marquis de Vico faisaient partie de cette association naissante. Les nouvelles doctrines ne tardèrent pas à sortir de ce cercle étroit et à se répandre dans le public. Le capucin Bernard Ochino vint à Naples en 1536. Il partageait les idées de Valdez. Sa réputation d’ascétisme aussi bien que son éloquence lui atti-