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donc dans le défilé l’arme au repos, le sac sur le dos, suivis un peu en arrière par le régiment. Heureusement pour les Sardes, le 3e régiment des zouaves, qui venait d’arriver de Vercelli, avait fait halte dans la plaine au-delà du Cavo-Camara-Scotti, et attendait le moment d’entrer en lutte. Les zouaves, couchés dans les blés, faisaient leur sieste à un demi-kilomètre du combat, avec l’insouciant laisser-aller que leur donne le sentiment de leur esprit militaire et de leur valeur. « Tout à coup, nous écrit-on, un zouave lève le nez, puis un autre, un troisième… On se regarde,… on fait un signe d’intelligence,… on donne un coup d’œil à la baïonnette. Bientôt tout le monde est en éveil. Qu’est-ce ? demandent ceux qui font encore la planche sur l’onde verdoyante du blé. C’est un chasseur autrichien, deux chasseurs, trois, dix chasseurs, une compagnie, un bataillon de chasseurs ! — On se lève, et on regarde. Derrière le bataillon de chasseurs, on aperçoit toute une rangée de tuniques blanches ; mais un soldat autrichien avait aperçu les larges pantalons rouges des zouaves, et dans sa surprise il avait fait feu.

« À ce coup qui donne l’alerte aux Autrichiens, le premier mouvement des chasseurs est de se retirer, celui des zouaves est de courir sus à la baïonnette. Je renonce à vous parler de l’effroyable carnage qui s’ensuivit. Les zouaves sautent le cavo, qui par bonheur est moins large et moins profond que la roggia, et tombent à l’arme blanche sur les chasseurs autrichiens. Ceux-ci, surpris par cette brusque attaque, resserrés dans l’étroit espace qu’enferment le petit canal et le grand canal, n’ayant d’autre issue que la passerelle par laquelle ils sont armés, s’y entassent… Ne pouvant passer tous à la fois, ils se jettent dans la roggia. Deux cents hommes lourdement chargés, ne pouvant par conséquent se tenir à fleur d’eau, s’engouffraient dans la roggia. Les zouaves, s’ouvrant à coups de baïonnette un passage à travers les fuyards, arrivent à la passerelle, sautent de l’autre côté, et tandis qu’un certain nombre d’entre eux se jettent sur les canons de la réserve avant qu’on ait eu le temps de les enlever, les autres reçoivent à la pointe de la baïonnette les débris du bataillon de chasseurs qui ont réussi à traverser la roggia. Peu à peu cependant la générosité reprend le dessus. Les zouaves tendent les mains aux chasseurs qui se noient, et se contentent de les faire prisonniers. Cinq pièces d’artillerie tombent entre les mains des vainqueurs, ainsi qu’une centaine de tirailleurs. Le régiment archiduc Sigismond, qui n’était pas encore engagé dans le défilé, avait eu le temps de se retirer en laissant morts ou prisonniers une centaine d’hommes. Il venait de prendre position sur la route de Robbio pour couvrir la retraite, que le général Zobel, prévenu de la funeste issue de cette diversion, venait d’ordonner. »

Le combat ne finit point là. Les Piémontais débouchant du village rencontrèrent les zouaves, et la poursuite de l’ennemi devint entre les soldats des armées alliées l’objet d’une joute prodigieuse : zouaves et bersaglieri voulaient être les premiers sur les talons de l’ennemi et les derniers à cesser la lutte. Au milieu d’eux était le roi Victor-Emmanuel, toujours s’exposant au premier feu. « J’ai parlé moi-même, nous écrit l’auteur de ces notes, au zouave qui prit son cheval par le mors pour l’empêcher de s’exposer, davantage. » Un officier de bersaglieri, le lieutenant Ropolo, s’acharna à cette