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peuple qui n’avait plus rien que ses bras, Épiphane entreprit de relever sa métropole avec des aumônes quêtées dans les villes voisines. Il allait disant à ceux qui possédaient encore quelque chose : « Ayez l’âme riche, et vous trouverez ; c’est quand le cœur mendie que la pauvreté arrive. » Avec ce qu’il put ramasser et ce qui lui restait de patrimoine, il se mit à l’ouvrage, et Pavie sortit de ses ruines. Animés par son exemple, hommes, femmes, enfans travaillaient à qui mieux mieux. On déblayait les décombres, on courait abattre des bois dans les forêts environnantes ; on creusait les champs pour en extraire la pierre, et quand les bras des Pavésans étaient las, les voisins prêtaient les leurs. Épiphane dirigeait les travaux, surveillant tout, pourvoyant à tout, comme un architecte qui commande à des ateliers de constructeurs, ou plutôt comme le fondateur d’une colonie assise dans quelque solitude désolée. Le service de Dieu, comme il convenait, passa le premier. Les deux églises que contenait la ville avaient été dévorées par la flamme : on mit tant de hâte à les reconstruire, qu’elles semblèrent s’élever comme par prodige ; mais on paya la peine de cette pieuse précipitation. La grande église, appelée la Majeure, était achevée jusqu’au comble, et la Mineure venait de recevoir le signe symbolique de la dédicace, lorsque la voûte de la première s’affaissa par suite de l’écartement des colonnes : ouvriers et échafauds roulèrent pêle-mêle sur le pavé, et pourtant aucun de ces hommes ne fut blessé mortellement, ce qui sembla miraculeux. Néanmoins les habitans restaient frappés de crainte : « Dieu nous abandonne, disaient-ils. — Non, répondait Épiphane avec un calme qui ne se démentit jamais, Dieu veut nous éprouver ; montrons-lui que nous sommes des fils résignés et confians. » On se remit au travail, et les deux églises se terminèrent. On passa ensuite aux maisons des particuliers ; grâce au concours de tant d’hommes, et l’un aidant l’autre, elles furent promptement rétablies. L’évêque ne prit de repos que quand il vit sa ville ressuscitée. Elle revivait, mais mendiante et misérable ; loin de pouvoir acquitter les taxes publiques, elle avait besoin de tout le monde pour subsister. Épiphane alla donc trouver Odoacre, afin d’obtenir de lui, en faveur des habitans de Pavie, l’exemption des contributions de l’état pendant cinq ans. Sa présence et le nom de Pavie pouvaient réveiller dans l’âme du roi des nations plus d’un souvenir irritant, car c’est là qu’il avait trouvé ses ennemis les plus opiniâtres, et l’évêque s’était montré le dernier défenseur d’Oreste. Toutefois il n’en fit rien paraître. Non-seulement il accorda la remise d’impôts demandée, mais il prodigua au négociateur les marques d’une considération respectueuse. Quoiqu’il fût arien, il entretint par la suite de cordiales relations avec le saint évêque. Chaque fois