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si Népos ne l’avait pas prévenu. » — « Je le loue, ajouta-t-il, de ce qu’il prend enfin des manières et un costume qui conviennent à un Romain. J’ai confiance que l’empereur, qui l’a honoré du plus illustre des titres, sera pour lui le bienvenu. Ses intentions étant toutes pour le bien de l’Italie, Odoacre n’a rien de mieux à faire que de réintégrer Népos. » En répondant à la lettre que lui avait écrite le roi des nations, il le qualifia de patrice, et lui renouvela avec chaleur ses recommandations en faveur de son protégé. Il mit dans toute cette affaire plus de sentimens affectueux qu’il n’en mettait d’ordinaire dans sa politique, la similitude frappante de sa propre destinée avec celle de Népos ayant pour quelques instans attendri son cœur. L’envoyé du prince dalmate n’eut donc ni préventions à détruire, ni hésitations à combattre ; il put rapporter à son maître la nouvelle d’une réintégration prochaine en Italie.

Elle était prochaine assurément dans les désirs de Zenon ; mais cet empereur, trop confiant dans l’effet de ses paroles, soit aux sénateurs de Rome, soit à l’envoyé d’Odoacre et désireux d’ailleurs d’arriver au résultat sans effusion de sang, attendit apparemment que la chose s’accomplit d’elle-même. Il ne fit aucun armement, ne prit aucune mesure décisive, et bientôt d’autres affaires plus directes vinrent à la traverse et le détournèrent de celle-ci. Odoacre profita avec son habileté ordinaire du répit que la fortune lui laissait. Il agit comme si la déclaration du sénat de Rome avait été admise par l’empereur d’Orient, comme si celui-ci avait accepté le gouvernement des deux empires, comme si enfin Népos n’existait pas. Il prit le titre de patrice en vertu de l’institution de Zenon, dont il se déclara le lieutenant en Italie. Zenon fut proclamé solennellement le protecteur du sénat et du peuple de Rome. Des statues lui furent dressées dans tous les quartiers de la ville. Le sénat se taisait et laissait faire, irrité de l’arrogance de Zenon, et préférant au protégé de cet empereur le Barbare que le sort avait donné pour maître à l’Italie. Odoacre eut donc le champ libre pour se consolider par tous les moyens en son pouvoir. Ce n’est pas qu’il n’eût besoin de vigilance et de décision. Népos n’était point sans amis, même dans l’année, même dans le palais de Ravenne. Odoacre fit enlever de cette ville et mettre à mort, le 11 juillet 477, un certain comte Bracila, officier goth qui conspirait pour Népos. Il le fit, nous dit Jornandès, afin d’imposer aux Romains par la terreur. Hors de l’Italie, le parti de l’ancien empereur s’agitait avec non moins de force et d’activité. Les cités gauloises d’Arles, de Marseille et d’Aix n’avaient voulu reconnaître ni Oreste ni Odoacre, et continuaient de gouverner au nom de Népos. L’assemblée provinciale de la Narbonnaise demanda même solennellement à Zenon que ce prince fût rétabli en Occident.