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biens répondirent de leur administration, et l’on ne put se soustraire à ces fonctions obligées sans des peines graves, car c’était une désertion : le curial déserteur était ramené à sa municipalité comme le soldat réfractaire à son drapeau.

De même que l’individu était obligé envers la cité, la cité le fut envers l’état. Chargée par la loi du recouvrement des contributions publiques, elle dut en garantir le produit, et fut soumise aux règles de responsabilité des agens financiers. Il y avait assurément dans cette intervention de la commune entre le contribuable et l’état quelque chose de bon, de paternel, pour ainsi dire, car l’autorité municipale, en rapport direct avec chacun, connaissant ses ressources et ses intentions, et sachant tenir compte des circonstances, était un receveur plus indulgent, plus équitable, que le représentant inflexible du pouvoir central. Mais aux époques de détresse, quand l’état aux abois ne put plus admettre de non-valeurs dans l’impôt, il pressura les municipalités pour obtenir tout ce que l’impôt devait rendre, leur laissant un recours contre les individus, et celles-ci se récupérèrent par tous les moyens violens. Alors cette intervention paternelle du pouvoir communal entre le contribuable et le gouvernement se transforma en une véritable oppression. « Autant de curiales, autant de tyrans ! » s’écriait un moraliste du Ve siècle. Ce rôle était peu séduisant pour des hommes de cœur. On chercha à s’y soustraire en changeant d’état, en entrant dans l’armée, dans le clergé, en s’expatriant, en dénaturant la propriété qui vous faisait curiale ; mais la loi veillait, terrible, impitoyable, et venait river le fugitif aux honneurs de sa cité comme à la plus dure des servitudes.

Entre les exactions fiscales et les ravages incessans des Barbares, quel pouvait être l’état de l’agriculture ? On ne saurait l’imaginer plus déplorable. La Ligurie, l’Emilie, le versant méridional des Alpes, restaient en partie incultes ; la Toscane, le Samnium, la Campanie, éloignés cependant du théâtre ordinaire des invasions, n’en avaient pas moins leurs solitudes et leurs friches ; mais la dépopulation de l’Italie tenait à des causes anciennes et profondes, dont les misères de la guerre ne firent qu’accélérer les effets. La grande propriété, suivant le mot bien connu de Pline, avait déjà perdu ce pays à l’époque de la plus grande puissance romaine. Cette métropole du monde, domicile obligé des sénateurs et demeure favorite des riches provinciaux, s’était transformée en un immense jardin parsemé de palais et de villas construits avec les dépouilles de l’univers. La culture des champs y fit place aux prairies et aux bois, le travail, des hommes libres au travail des esclaves, et le produit de la terre devint presque nul sous des bras serviles. On crut trouver