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L’homme qui était venu, une bourse au cou, demander à Théodose II, de la part du roi des Huns, la tête du grand eunuque Chrysaphius, perdit la sienne pour avoir voulu redevenir Romain.

Le choix d’un pareil anniversaire pour le supplice d’Oreste disait assez haut que c’était là la revanche d’une espérance déçue. Avant de quitter Pavie, et sur ses ruines baignées de sang, les auxiliaires avaient proclamé Odoacre roi, titre d’une nouveauté étrange de la part d’une armée de l’empire, mais qui annonçait au fond la reconstitution de cette armée en peuple barbare et une sorte de mainmise sur le pays. Tandis que ces choses se passaient sur les bords du Pô, le jeune Romulus Augustus se tenait renfermé à Ravenne, que son oncle Paulus se préparait à bien défendre malgré leur fortune désespérée. Une petite troupe de soldats dévoués, probablement enfans de l’Italie, résolue aussi à mourir pour une cause qui se liait à la nationalité italienne, formait, sous le commandement du frère d’Oreste, l’armée du dernier des empereurs. Odoacre, parti de Plaisance, arriva le 4 septembre devant Ravenne.

Cette ville immense se divisait alors en cinq grands quartiers qui formaient comme autant de villes distinctes, séparées par des canaux : d’où lui venait le surnom de Pentapole, ou de quintuple ville. La principale de ces cinq villes accolées dans une même enceinte était Ravenne proprement dite, la vieille cité grecque et étrusque, restée le quartier de la classe opulente. Ensuite venaient Cœsarea, séjour des empereurs et des hauts fonctionnaires attachés à la cour ; Palatiolum, quartier des jardins, où les césars possédaient une maison de plaisance sur le bord d’un petit lac ; Tauresium, et enfin Classe, quartier du port maritime, des artisans et du négoce. Une dérivation du Pô, des rivières et de profonds marais traversés par la longue et étroite chaussée percée d’arches qu’on appelait le pont Candidien, défendaient la Pentapole à l’ouest et au nord ; une forêt de pins, dont les restes sont encore debout, et qui s’étendait au loin sur les dunes de l’Adriatique, la couvrait du côté de la terre ferme, au sud-ouest et au sud. Paulus, après avoir intercepté le pont Candidien de manière à rendre Ravenne inabordable sur ce point, avait pris position du côté de la terre ferme, à trois milles environ de la ville, dans le bois de pins, où il s’était fortement retranché. Odoacre l’y vint attaquer, le défit et le tua. Nous ne savons rien de plus sur la bataille, et l’expression dont se sert le principal historien de cette guerre nous ferait douter que Paulus eût péri les armes à la main : Odoacre lui réserva sans doute, après sa défaite, le même traitement qu’à son frère.

C’est donc de ce côté qu’Odoacre entra dans Ravenne, interceptant par sa marche toute communication entre le quartier impérial