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Comme philosophe, si M. Mamiani n’est pas un novateur, quoiqu’il en ait les prétentions, il a su du moins revêtir sa pensée et celle des maîtres d’un langage heureusement poétique. Dans ses vers en revanche, la crainte de passer pour un de ceux qui alignent des mots sonores et vides de sens l’a conduit à faire un emploi peut-être trop fréquent des formules philosophiques. Ses hymnes, où il raconte en vers la vie de plusieurs saints, ressemblent quelque peu à des exercices de rhétorique. On se demande avec étonnement pourquoi M. Mamiani a cru devoir célébrer les louanges de sainte Gertrude, de l’ange Raphaël, qui rendit la vue au vieux Tobie avec du fiel de poisson, ou de sainte Sophie martyre, à propos d’un mariage et en guise d’épithalame. Les idylles laissent au lecteur une impression plus favorable, soit parce que les sujets en conviennent mieux à l’esprit moderne, soit parce qu’ils sont traités avec plus de grâce et de naturel. Cependant il faut encore faire quelques réserves, par exemple sur cette épigraphe ambitieuse :

…… Vestigia græca
Ausus deserere,


bientôt démentie par l’auteur lui-même, qui avoue, malgré ses prétentions novatrices, avoir imité les anciens, ensuite sur cette défiance persistante à l’égard des étrangers : « Ils ne me comprendront pas, dit M. Mamiani, car je ne parle ni de bûchers, ni de poison, ni de poignards, ni de sorcières, » comme si tout cet appareil était quelque part le matériel obligé de l’idylle. M. Mamiani a prétendu la rajeunir en peignant les mœurs modernes, et respecter la forme en changeant le fond. Ainsi André Chénier

Sur des pensers nouveaux faisait des vers antiques.


Il y a des genres littéraires qui sont en si parfaite harmonie avec le génie d’une époque, que le plus sûr moyen d’y réussir, si l’on veut absolument les remettre en honneur, c’est d’imiter sans fausse honte les maîtres qui en sont les plus parfaits modèles.

S’il est permis de regretter que la lyre de M. Mamiani n’ait guère qu’une seule corde, on ne pourra du moins refuser au poète le rare mérite de la langue la plus belle et la plus pure, de la plus heureuse expression poétique, relevée dans les idylles par une invention suffisante et souvent très gracieuse. Une des plus agréables de ces idylles est intitulée la Villetta. Un sylphe prenait ses ébats dans la campagne. Il aperçoit l’ange Ituriel, s’empresse de le rejoindre, et l’invite à se reposer auprès de lui. Les deux esprits, qui représentent la religion du passé et celle du présent, entrent en conversation amicale.