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LE ROI ODOACRE
PATRICE D'ITALIE



Les derniers temps de l’empire romain d’Occident, injustement dédaignés par les historiens modernes, présentent pourtant le plus intéressant spectacle de mouvement et de vie. Si les événemens ne s’y déroulent pas avec la marche régulière et majestueuse des grandes époques normales, le mélange des races y crée des individualités plus originales peut-être ; l’action personnelle y prend une place beaucoup plus large, et partout éclate l’imprévu. Les personnages les plus différens d’origine et d’habit s’y disputent la puissance sur les masses, armées ou désarmées : ici, c’est un moine qui fonde un gouvernement théocratique dans les villes romaines du Danube ; là, ce sont des évêques qui défendent leurs villes sur la brèche, affrontent des armées victorieuses, ou dirigent les négociations politiques les plus délicates ; là encore, ce sont des soldats qui deviennent empereurs, des empereurs qui deviennent prêtres, des Barbares qui se font plus Romains que les Romains eux-mêmes, des Romains qui aspirent à être Barbares. Les costumes sont mêlés, comme les caractères et les ambitions. Il faut une loi pour empêcher l’officier romain de souiller ses épaules d’une peau de mouton et de traîner dans les rues de Rome un long sabre goth attaché à des chaînes de fer. D’autres lois empêcheront bientôt le sujet barbare d’apprendre à lire et de se corrompre au contact des lettres et des arts de l’Italie. Au milieu de ce conflit de nationalités, d’intérêts, de sentimens opposés naissent les peuples modernes. Le tombeau de l’empire romain est fécond : un monde nouveau en sort tout armé.