Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manifestent, se tient prêt à les satisfaire. Sa boussole, c’est son intérêt ; c’est son intérêt qui tantôt lui fait courir les chances d’une opération aléatoire, tantôt lui conseille une prudente réserve. La ruine est la sanction pénale de son manque d’aptitude ou de sa négligence ; la fortune est la récompense de l’exactitude de ses calculs et de son habileté. La société peut donc s’en rapporter complètement à l’industrie particulière pour faire face à toutes les exigences qui peuvent être satisfaites aussitôt qu’elles se manifestent jamais dans ce cas cette industrie ne lui fera défaut ; mais il ne saurait en être ainsi lors qu’il s’agit de produits dont la longue élaboration exige un esprit de suite qui lui manque d’ordinaire. C’est en cela surtout que la production ligneuse se distingue essentiellement de la production agricole. Il suffit de quelques mois pour faire fermer le grain, développer la plante, mûrir l’épi et livrer le blé au commerce. Les fourrages, les racines, les légumes n’exigent pas plus de temps, et si la vigne est moins prompte, du moins peut-on être sûr de ne pas attendre au-delà de quelques années les produits qu’elle fournit. Dans ces conditions, il est très facile à l’agriculteur de parer à toutes les éventualités et de s’adonner plus spécialement à la production qui lui donne le plus de bénéfices, c’est-à-dire à celle dont la société a le plus besoin. Les lois de l’offre et de la demande sont pour lui un régulateur infaillible. Qu’une récolte vienne à manquer, la hausse du blé lui fait augmenter l’année suivante l’étendue des terrains emblavés et combler par là les vides opérés dans les réserves. Que son prix vienne au contraire à s’avilir, il trouvera bénéfice à cultiver des plantes fourragères et à élever du bétail. Ce sont ces oscillations continuelles, résultat du jeu des intérêts particuliers, qui finissent, sous le régime de la liberté, par apporter cette stabilité si nécessaire aux intérêts de tous.

Rien de semblable pour les produits ligneux à cause du temps qu’ils exigent pour acquérir les qualités qui les font demander. Il faut à la nature de vingt à vingt-cinq ans pour produire la bûche qui pétille dans l’âtre, de cent cinquante à deux cents ans pour élaborer la quille du navire qui nous porte ou la poutre du toit qui nous abrite. Ces produits sont l’œuvre du temps, et dès lors les lois de l’offre et de la demande sont impuissantes à garantir à la société un approvisionnement continu. Comment en effet attendre que la demande se manifeste, si l’offre ne peut y répondre qu’un siècle du deux plus tard ? Il importe donc, puisque la société a besoin de bois, que les forêts soient aménagées de manière à en fournir annuellement à peu près la même (quantité, de manière à éviter les souffrances qui seraient la conséquence inévitable d’une pénurie éventuelle. Le but de la sylviculture est précisément d’assurer cette régularité si précieuse pour tous, mais que les forêts particulières,