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contester qu’il touche à l’intérêt général beaucoup plus encore qu’à l’intérêt particulier. Les propriétaires des forêts situées dans ces conditions peuvent bien à la rigueur profiter, dans une certaine mesure, des effets généraux qui résultent de leur présence ; mais ils n’en profitent pas assez pour que ce motif seul puisse les engager à les conserver en nature de bois, s’ils trouvent d’ailleurs un avantage quelconque à les transformer. Qu’importe au surplus au propriétaire d’un bois situé sur les plateaux que les rivières débordent dans les plaines, qu’elles transportent jusqu’à leur embouchure les terres enlevées sur leur passage, qu’elles entravent la navigation par leurs atterrissemens, ou forment des marais qui promènent la mort au milieu des populations riveraines ? N’écoutant que son intérêt, il n’hésite pas un instant à détruire sa forêt, s’il trouve dans cette opération le plus léger bénéfice. Pour qu’il se décidât à la conserver, il faudrait donc qu’elle lui procurât, comme telle, un revenu supérieur à celui qu’il retirerait des autres cultures ; mais cette condition même, qui peut être suffisante à une époque et dans des circonstances déterminées, n’agit malheureusement pas d’une manière assez générale pour garantir à jamais la société contre les défrichemens qui lui sont préjudiciables. L’histoire nous apprend en effet que la disparition des forêts ne s’est pas bornée aux parties qu’on pouvait cultiver avec avantage, mais qu’elle s’est étendue à des montagnes arides qui ont été stérilisées, et à des plaines impropres à toute autre production que le bois, et qui ont été par là transformées en déserts. On a bien essayé d’arrêter le mal par des lois qui prohibèrent les défrichemens, mais ces lois, qui nécessitaient l’ingérence toujours fâcheuse de l’état dans la gestion des propriétés privées, ont eu l’inconvénient plus grave encore d’être inutiles. Jamais elles n’ont pu empêcher un défrichement de s’effectuer quand le propriétaire y trouvait son avantage, et la longue suite des ordonnances royales et des arrêts du parlement, rendus depuis Charlemagne jusqu’à nos jours, afin de sauvegarder la propriété forestière, n’a servi qu’à constater l’impuissance de l’action légale en cette matière. C’est que les forêts, pas plus que les autres propriétés, ne peuvent se soustraire aux lois économiques qui les régissent, et que, par leur nature même, elles ne sauraient convenir à l’appropriation privée.

Ce qui dans toutes les industries donne à l’action individuelle une grande supériorité sur l’action gouvernementale, c’est l’esprit d’initiative qui la caractérise. La mobilité des opérations, la multiplicité des transactions, la transformation des produits, la rapidité de leur transport sur les points où ils sont demandés, ne s’accommodent pas de la régularité et de la lenteur calculée des administrations publiques. Le propriétaire privé, toujours à l’affût des besoins qui se