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valu à l’auteur des éloges excessifs de la part des personnes qui vivaient dans son intimité ou que leur patriotisme municipal portait à exalter tout ce qui prend naissance à Bologne; mais on ne saurait assigner à ce poème une place bien élevée. Malgré les mérites du style, le sujet manque souverainement d’unité. Dante figure en qualité de comparse dans l’aventure imaginée par le poète, et il n’y joue qu’un rôle insignifiant. Le Chant sur Dante montre l’impuissance de M. Marchetti à composer une œuvre de quelque étendue; aussi doit-on surtout le juger sur ses canzone, ses odes et ses sonnets.

On sait que, malgré l’analogie du nom, la canzona n’a rien de commun avec la chanson; il faut renoncer à traduire ce mot, tant l’idée qu’il éveille est exclusivement italienne. Inventée, dit-on, en Provence par Giraud de Borneil, le père putatif des troubadours, la canzona ou canzone n’eut pas de peine à se naturaliser sur cette belle terre d’Italie, dont la Provence n’était en quelque sorte que l’extrême province. Oubliée par les héritiers des troubadours à l’époque où, devenus Français, ils firent un pas vers le génie de leur nouvelle patrie, elle devint en peu de temps, aux mains des poètes italiens, le plus noble des petits poèmes. Depuis Dante et Pétrarque jusqu’à nos jours, elle a également tenté toutes les imaginations fortes ou gracieuses, à la réserve peut-être de quelques écrivains du XVIIIe siècle, auxquels les allures philosophiques de l’épître plaisaient davantage. Or personne, à notre époque, n’a plus contribué que M. Marchetti à remettre la canzona en honneur. L’école moderne y peut regretter l’absence de ces fortes couleurs dont parfois elle abuse; mais grâce à la simplicité touchante de la pensée, à la sobriété et à la pureté du style, le poète de Bologne a produit dans ce modeste genre des morceaux achevés. Il sait traiter les sujets les plus douloureux avec une dignité triste et émouvante. Tantôt il célèbre quelques morts illustres, le sculpteur Visconti, le poète Perticari, Pétrarque ou le Tasse; tantôt il s’inspire d’idées générales, la piété, l’espérance, la reconnaissance, dont le développement, quelquefois commun, revêt souvent des formes splendides ou énergiques. Avec leur exagération habituelle, les Italiens de l’école formiste ont dit de la canzona composée à l’occasion de la mort de Mme Sauli, de Forli, qu’elle était le plus exquis poème lyrique qui ait paru depuis Pétrarque. C’est pousser un peu loin l’éloge pour une pièce où l’imitation du XIVe siècle touche presque au pastiche; mais il faut reconnaître que le sentiment en est délicat. Celle qu’inspire à l’auteur le tombeau de Pétrarque se recommande par une pensée juste. M. Marchetti accuse l’amant de Laure d’être la cause involontaire et innocente de ce goût pour la poésie exclusivement amoureuse et efféminée qui a valu à l’Italie tant d’accusations et qui n’a pas médiocrement