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c’est-à-dire d’une aptitude qu’ils montrent à entrer dans une combinaison nouvelle au moment où ils sortent d’une autre combinaison.

Le passage des substances inorganiques aux substances organiques est donc un fait démontré. On ne saurait pour cela en conclure qu’on ne doive pas faire appel à des forces vitales d’une nature particulière pour la formation des plantes et des animaux. Ces forces vitales ont certainement exigé, pour se développer, des conditions qui ne se rencontrent pas de nos jours, ou du moins qui échappent à notre observation. On peut admettre que la vie a varié dans ses manifestations héréditaires ; mais il est impossible de percer le mystère de la production de la vie, et encore moins celui de l’existence première de l’instinct, de l’intelligence vague des animaux, de l’intelligence consciente d’elle-même, qui est celle de l’homme.

Nous sommes arrivés à une période en apparence stable, parce que nous ne considérons la terre que pendant sa vie de quelques siècles ; cette stabilité ne saurait être admise pour un long temps. La terre se refroidit lentement, très lentement sans doute, mais elle se refroidit. Jadis les climats étaient autrement distribués qu’ils ne le sont de nos jours, bien que les formes animales fussent déjà ce qu’elles sont à présent. Le feu central finira par s’éteindre dans la longue série des âges. Le soleil pourra envoyer sur la terre encore la même quantité de chaleur ; mais les volcans auront cessé d’être en ignition. Les sources thermales n’existeront plus ; les couches superficielles de l’eau des lacs subalpins, celles des mers subiront les mêmes vicissitudes de température auxquelles sont aujourd’hui sujettes les couches superficielles du terrain. Les bords des lacs perdront leur belle végétation, et l’hiver se fera sentir dans les îles avec la même intensité que dans les contrées situées à l’intérieur des continens, sous le même parallèle et à la même élévation. Bien d’autres phénomènes se produiront encore que nous ne pouvons prévoir, et il en résultera certainement des changemens dans la distribution de la vie. L’homme lui-même travaille à cette transformation : il détruit les espèces sauvages, il multiplie les animaux domestiques, il développe les céréales et les plantes alimentaires au détriment d’une foule d’essences et de végétaux dont il ne tirait aucun profit. Rien n’est donc permanent sur notre planète ; les changemens s’y produisent à la longue, et comme nous suivons dans les couches anciennes du sol la trace de ces lentes transformations, nous concevons pour l’avenir la possibilité de transformations analogues. La science toutefois n’en peut rien connaître, et si l’histoire du passé est obscure et difficile, celle de la vie future est impénétrable comme Dieu même.


ALFRED MAURY.