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fini par prendre un organisme sensiblement différent, il est tout simple qu’aucune génération ne s’opère plus entre eux. L’harmonie qui doit exister pour que deux êtres donnent naissance à leurs semblables a disparu, et les animaux sont devenus réellement étrangers l’un à l’autre. L’existence des espèces et des genres ne prouve donc rien contre la possibilité d’altérations profondes dues à des changemens de conditions biologiques radicales ; elle montre seulement que, ces changemens une fois accomplis, il en résulte des êtres qui ne sauraient plus avoir entre eux de commerce fécond.

On se demande alors comment, si les genres et les espèces se sont produits par voie de modifications successives, sous l’empire des révolutions physiques, ils ont continué de subsister même après que ces conditions eurent évidemment changé, pourquoi des animaux semblables à ceux qui vivent autour de nous existaient déjà quand d’autres êtres étrangers au monde contemporain subsistaient et se propageaient. C’est qu’une fois qu’une espèce ou, si l’on veut, une variété s’est produite, il se développe en elle une force de persistance et de transmission qui lui permet de lutter, souvent un temps très long, contre les changemens climatologiques et biologiques à laquelle elle est soumise. L’observation nous en fournit tous les jours la preuve. Certaines variétés d’animaux, certaines races humaines qui se sont formées à des époques très modernes, continuent à se perpétuer, même dans les contrées où elles n’existaient pas primitivement. Un accident produit parfois une variété, et l’on est tout étonné de voir cette variété se transmettre ensuite par la génération, si bien qu’elle donne parfois le change aux naturalistes, et qu’on a pris souvent pour une espèce ce qui n’était qu’une variété.

Les métamorphoses graduelles des espèces ne sauraient être démontrées par l’observation de quelques siècles : l’exemple des faits contemporains ne peut ici être objecté ; mais la possibilité de ces métamorphoses paraît être la conséquence forcée de ce qui s’est passé aux âges antérieurs. Et qu’on ne dise pas qu’on devrait, s’il en était ainsi, rencontrer dans les couches terrestres des animaux en voie de transformation, car ces altérations n’ont pu être que fort lentes, et elles se sont produites chaque fois, non dans le cours de la vie de l’animal et de la plante, mais au moment même où une nouvelle plante, un nouvel animal étaient engendrés. Si ces métamorphoses se sont effectuées, les individus d’espèces nouvelles ont été engendrés par des parens d’espèces différentes. Encore aujourd’hui la nature nous offre quelques exemples de ce singulier phénomène. De l’œuf pondu par les méduses sort une larve ciliée semblable à un infusoire des plus simples, la larve ne tarde pas à se fixer, et se transforme tantôt en un polypier rameux, tantôt en un animal assez semblable aux hydres d’eau douce. Le polypier donne naissance à